29 avril 1934
Keboemen
C’est
dimanche matin, un beau dimanche de printemps. Ce qu’il doit faire beau chez
vous maintenant, au Chalet, au bord du lac ! Ici on ne voit pas de
différence, il fait beau temps, les oiseaux chantent, les fleurs poussent tout
est vert, tout est frais, mais rien de timide comme les premières apparitions
du printemps quand les petites fleurs osent à peine se montrer. Tous ces
derniers jours il a plu effroyablement, un temps gris, froid. Hier j’ai remis
avec délices mon petit pullover bleu. Ce matin j’ai déjà fait jouer mon disque
« petite rose » et naturellement nos cloches. C’est dimanche et il
faut pourtant le reconnaître à quelque chose.
Oscar doit
travailler tout le jour de nouveau. Vous savez que depuis la semaine passée,
depuis dimanche passé, à proprement dit, il travaille au bureau régulièrement.
Il a aussi une semaine difficile derrière lui, surtout vendredi a été un
mauvais jour pour lui. M. Visser et le comptable sont partis en tournée de
grand matin et ont laissé Buby se débrouiller tout seul et chargé de la caisse.
Le matin tôt il se présente un chinois qui veut Fl. 2000.-- pour acheter du coprah (la noix de coco) il était soit
disant le plus grand fournisseur de coprah de la Mexolie, mais il voulait une avance, du crédit. Buby ne voulait pas
les lui donner, voici le chinois qui se met à vociférer et à l’engueuler disant
qu’il lâcherait la Mexolie, qu’il ne fournirait plus de coprah etc, etc. Comme
c’est très difficile d’en acheter assez, tout s’en allant aux fabriques d’huile
chinoises, on fait tout pour garder les fournisseurs. A la fin, Buby les lui a
donné, mais tout le jour il trimbalait une conscience loin d’être paisible. Le
soir il rentre tard, la caisse avait un manco de Fl. 10.--. Je me préparais
déjà à les rembourser, cela c’était encore le moins, mais c’était l’idée !
Enfin Mr. Visser arrive et Buby doit retourner au bureau pour compter l’argent
qu’ils rapportent de leurs tournées. Cette fois-ci ils ont rapporté Fl. 8000.--
tout en petite monnaie. Grand soulagement, Oscar a agit juste en donnant cette
avance, ce que nous étions contents, et les Fl. 10.-- se sont aussi retrouvés.
On a eu une soirée heureuse, je vous en garantis. Ce n’est rien pour lui d’être
au bureau quand les autres y sont aussi, mais quand ils partent et que Buby est
tout seul avec les quelques chinois-commis, sans avoir reçu beaucoup
d’instructions et surtout qu’il se présente toujours un cas spécial ces
jours-là. C’était comme chez nous quand le patron était loin, hein
papali ? La comptabilité ici est aussi très difficile, ou plutôt
compliquée parce qu’elle doit en même temps figurer de statistique, et Buby n’a
que deux mois pour se mettre au courant, parce que Nieburg sera placé à une
autre fabrique et en décembre il part en congé d’Europe. Oscar passe toutes ses
soirées maintenant à revoir sa comptabilité et à étudier, Oh ! oui, nous
travaillons y a pas à dire, mais c’est bon pour la santé.
Hier samedi, c’est
moi qui ai eu un mauvais jour, tout allait mal, et c’est comme si mes trois diables
s’étaient donné le mot pour tout faire à l’envers. Je crois que je m’étais
levée de la jambe gauche aussi, parce qu’allant chez Mme Visser, j’y ai trouvé
la Röhwertje, et comme j’apportais le nouveau catalogue de Ferwerda que je
venais de recevoir, la R. s’en est emparé sans plus de façon, même avant Mme V.
et elle trouvait tout à critiquer, à la fin, je suis partie les laissant avec
le catalogue, moi j’en avais assez d’entendre ces bêtes de critiques, elle ne
comprend rien à la mode et fait comme si elle était Patou (couturier parisien) en personne. Bah !
Mercredi
matin j’ai été chez Mme Hartong, voir son jardin. Il est immense et elle a
beaucoup de fleurs et de plantes diverses. J’ai beaucoup appris, ensuite elle
m’a accompagné jusque chez moi et nous avons visité mon jardin. Elle m’a donné
beaucoup de conseils utiles que je suis maintenant. J’ai pris beaucoup de
plaisir à mon jardin, vous verrez qu’il deviendra beau. Maintenant que nous
savons que nous resterons ici encore pour quelques temps, au moins plus d’une
année, je trouve la peine de m’en occuper et de planter.
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Plusieurs
fois cette semaine j’ai été me promener avec Mme V. le matin à 6 h. Nous
marchons toujours une heure, de 6 – 7, il fait bon et frais, la rosée sur les
jeunes pousses de riz brille comme des millions de diamants au soleil levant.
Et les trois volcans que nous voyons depuis ici sont de magnifiques pains de
sucre bleu-violet dans le ciel
rose. Il y en a un qui est en action, le Merapi,
j’aimerais bien aller le voir, il paraît qu’on y voit des nuages de cendres. Il
y a 3 ans il a craché des pierres, d’immenses blocs qui sont éparpillés dans la
plaine. La route menant à Djocjakarta d’ici a dû avoir son cours changé.
Je viens
de recevoir le courrier, vos lettres de Bienne du 16 avril, et la lettre 31 de
Como, datée du 16 avril également. Non, quel plaisir j’ai eu à lire vos bonnes
lettres et surtout ces bonnes nouvelles de Como.
J’ai immédiatement été faire
une petit chapeau « assiette-plate » avec une vieille paille noire,
j’y ai piqué mes petits bouquets de fleurs roses et bleues, et ça y est.
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le chapeau! |
Je me
réjouis d’avoir la photo annoncée par Charlot pour comparer. Eh ! ce que
cela me fait plaisir de penser au plaisir que vous avez eu. Et toi mamali, cela
me fait plaisir que tu te sois faite belle. Je me réjouis de recevoir des
photos. Comme je suis contente de tous les détails de toilette que tu me
donnes, ah oui, il y a pas, mais les Tschingg (Italiens) restent mon béguin
pour la beauté. Et mon Nöggi (Louis) qui est devenu plus grand encore, et large.
Est-ce que tu te tiens droit maintenant, espèce de nouillon ? Tu as eu
raison de profiter de ta chance de rester là-bas, quel gentleman cela va faire
de mon Nöggi, j’espère, gare les bonnes manières ! Cela me chante au cœur
d’y penser, je le désirais tant. Et Toi Charlot (remarque les
majuscules !) qui fait des croquis à chaque occasion. Ce que cela me fait
plaisir. Vous ne croyez pas, mais j’en suis toute illuminée en dedans. Oui,
oui, les gosses Marchand avancent, font du chemin, et moi, éperonnée par vous,
je ne veux pas rester en arrière et vous verrez quelle Perfection débarquera un
beau jour. Oh ! mes chers, la vie est si belle, et bonne aussi, il faut
seulement savoir y trouver le bon, pas ?
Nous avons
voulu jouer au tennis, mais après 10 minutes il a commencé à pleuvoir. Je pense
que c’est la dernière grande averse avant le sec définitif. C’est fou,
seulement pendant ces quelques jours il a plus continuellement, tous les objets
en cuir sont de nouveau couverts de moisi. Il faut nettoyer, nettoyer sans
cesse. Cette semaine qui vient, si le beau temps se met de la partie, je fais
enfin laver tout mon linge, tout le trousseau et je dois définitivement
arranger mon armoire à linge. Pour cela j’engage une deuxième baboe, et peut
être encore une troisième pour que cela aille vite.
Ce soir
nous allons de nouveau chez les Visser écouter le match Hollande-Belgique (FIFA World Cup 1934) à la radio. Je suis
contente d’y aller pour Buby qui en est fou, mais d’un autre côté cela va si
tard, et demain c’est lundi, toute une semaine devant nous. Enfin.
Cet
après-midi mon kebon a acheté un immense vase en terre cuite, environ 70 cm de
diamètre. Il va le fixer en terre et cela fera une mare pour mes canetons. Il
paraît que cette race ne peut pas vivre sans eau, alors on s’arrange,
hein ! Tu sais donc, Papali, que mes deux poussins sont morts. J’ai
maintenant 3 canetons, j’en ai fait acheter un aujourd’hui pour 7 cents, il a
environ 6-7 semaines. Tu sais ici, pas moyen de savoir l’âge exact au marché,
je m’en fous d’ailleurs. Mais pourquoi ne peut on pas les manger après 10 semaines ? Est-ce
seulement à cause du plumage ? Merci beaucoup pour ta bonne lettre,
Fatherli, je crois qu’il doit faire bon à Sutz, comme cela tout un jour à
bricoler par-ci par-là. Moi, je suis contente de chaque souvenir que j’en ai
rapporté ou plutôt emmené. Ah ! c’est un bon petit coin, notre paradis sur
terre et il fait bon pouvoir y penser depuis l’autre bout du monde. Mais il ne
faut pas croire que j’en ai l’ennui, bon, j’aime y penser, c’est sûr, mais je
le fais sans tristesse, seulement avec amour et reconnaissance. Non, je suis
trop heureuse ici avec mon méchant garçon pour vouloir désirer être autre part.
Nous avons
reçu une lettre de John nous proposant des plans pour Pentecôte. Si Oscar a
congé nous irons passer quelques jours à une place admirable au bord de la mer.
On verra !
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