samedi 17 octobre 2015





14 mai 1934

Keboemen

C’est lundi soir. J’ai la flemme, j’ai trop soupé. Nous sommes les deux en pyjamas. Oscar est assis sous la grande lampe et écrit à son Father, il fume comme une cheminée, moi je suis assise à son bureau et à ma machine, comme vous voyez. Il fait une belle nuit d’été, un ciel plein d’étoiles, c’est merveilleux. En regardant depuis la véranda nous voyons tout droit la croix du sud et au-dessus de la maison se trouve la grande ourse, mais ici elle est sur la tête, donc par rapport à la vue que vous en avez à Sutz ou à Bienne. Quand nous étions sur le bateau nous l’avons regardée disparaître derrière Ceylon je crois et maintenant je l’ai de nouveau. Il y a aussi les trois étoiles, mamali je me demande si c’est les vôtres. Enfin, je pourrais passer des heures à regarder dans le ciel avec toutes ces étoiles si grandes, c’est merveilleux.
La semaine passé, je vous ai envoyé par bateau, dans une grande enveloppe jaune, une lettre donc contenant les photos de Jans, des photos pour Charlot qui se trouvaient parmi les miennes par erreur et que je lui renvoie maintenant, un plan de Keboemen (cliquer sur l’image pour l’agrandir) 

point noir au milieu = la maison

que j’ai fait d’après les indications de Buby, d’autres photos, tu pourras rire, et un échantillon de mes rideaux à la chambre à manger, du tulle damier. Mes rideaux sont faits comme ceux du salon chez nous, fixés en haut et en bas, plus des timbres  pour Faatherli. J’espère que vous recevrez le tout en bon état.

Je ne suis pas arrivée à écrire aujourd’hui parce que j’ai enfin arrangé mon armoire à linge. Depuis mardi passé j’ai une baboe tjoetji (prononcez tschutschi) (lingère) et aujourd’hui nous avons changé le klamboe (moustiquaire) et les rideaux de la chambre à coucher. Mon armoire est belle maintenant avec tout le trousseau bien arrangé, mais zut cela en a donné de la peine  à contrôler, à arranger etc.
Figurez-vous, mercredi soir nous étions tranquillement assis dans notre salon, sous la lampe Oscar lisant son journal moi cousant à mon éternelle robe quand nous entendons une auto s’approcher. D’abord nous avons cru qu’elle allait chez les Röhwer, ensuite il nous a semblé qu’elle s’arrêtait près de chez nous, c’était peut être les Hartongs, enfin Oscar va voir pour en avoir le cœur net, moi je ne me suis pas dérangée, jusqu’au moment où je l’entends saluer gaiement …John et Jans. Oui, nos deux gros patapouffs venaient nous surprendre pour l’Ascension que j’avais complètement oubliée. Cela ne semble presque pas possible qu’on oublie une fête pareille, mais voyez-vous ici c’est très facile, il n’y a pas de congé. Enfin, nos deux gros s’étaient décidés à 4 heures de l’après midi de venir nous surprendre et à 8 ½ h. ils étaient ici. Vous pouvez penser quel plaisir nous en avons eu. Ils n’avaient pas soupé, vite, vite on sort tout ce qu’on a dans la glacière, heureusement qu’ils avaient apporté deux pains, une tourte, et une boîte de harengs. Gaiement nous leur avons tenu compagnie à souper puis toute la flotte nous nous sommes mis à monter les lits avec le klamboe. Ils ont dû dormir dans une chambre épouvantablement en désordre mais cela ne les gêne pas. Le lendemain, nous avons traîné en pyjamas tout le matin, parlé, bu du café, comme cela se fait chez nous quand St.Gall y est ! Pendant ce temps j’avais fait préparer toute une marmite de nasi goreng, du riz rôti avec des petits morceaux de bifteks et de porc, beaucoup d’oignons frits, des œufs etc. qu’on mange avec des concombres et des tomates. 


Après un petit tour dans les montagnes derrière Keboemen, nous avons été au bord de la mer où nous avons pic-niqué, dont inclus quelques photos. Nous y étions de 11 h à 2 h., le moment le plus chaud du jour. Le sable était brûlant, moi avec mes sandales je me suis bien brûlé les pieds. Heureusement qu’il se trouvait là une petite maison, un lieu de prière pour les indigènes qui viennent y adorer la déesse de la mer. 
Là nous étions bien à l’ombre et toujours rafraîchis par la brise de la mer. C’était délicieux, et nous avons eu un appétit, surtout moi. C’était énorme. John et Oscar ont essayé un nouveau pistolet que John vient d’acheter, et moi j’ai aussi tiré deux coups avec le petit pistolet d’Oscar. D’abord j’ai eu peur mais maintenant cela me plaît bien, et je  vais m’entraîner. N’aie pas peur, mamali, nous ne sommes plus des enfants, et ici cela peut toujours être utile. Enfin, à 3 heures nous étions de nouveau à la maison, nous avons baigné, mangé des glaces que j’avais vite fait faire et à 5 heures John et Jans sont repartis, parce qu’à 7 heures ils étaient invités à souper chez un ami de John à Djocja. Nous avons fini la journée par une bonne partie de tennis avec les Visser, et le soir nous avons été chez eux écouter le match Hollande – France. Il y avait chez eux M. La Bastide, expert chimique de la Mexolie, venu à Keboemen pour quelques jours. Ah, je dois encore vous dire qu’Oscar, le jeudi matin avait demandé s’il pouvait avoir congé, ce qui lui a été accordé. Pour cela nous n’osons rien demander pour Pentecôte, bien que John nous ait proposé des excursions des plus alléchantes, mais tant pis, le travail avant le plaisir. Cela nous a de nouveau fait un bien énorme, la visite de ces deux patapoufs, ils sont si gemütlich. Jans a trouvé un chinois qui fait des bustes, Mamali, elle m’a promis d’aller voir et si c’est quelque chose de bien, j’en commanderai un à Solo, donc ne t’en fais plus trop. Je regrette que je t’aie un peu embêtée dans mes dernières lettres à ce sujet, mais que veux-tu, je ne peux pas attendre le moment d’avoir un buste pour enfin me faire des robes comme il faut.
La pluie a cessé maintenant, je crois que nous sommes vraiment dans la saison sèche. Il a fait beau aujourd’hui, un jour exceptionnel et la soirée a été merveilleuse, après avoir joué, nous sommes encore longtemps restés assis sur le tennis les Visser et nous, ce soir, tellement le coucher du soleil était riche.
Pensez donc, dans la nuit de jeudi à vendredi, vers 1 heure, nous sommes réveillés par un bruit insolite, et un moment après on nous appelle. Nous sautons du lit et allons ouvrir. C’était un veilleur de nuit de la fabrique qui était en train d’enguirlander une femme sur l’escalier de notre véranda. Il l’avait juste attrapée au moment où elle filait avec le sarong que j’avais pendu sous le porte habit. Ici on met toujours une belle étoffe ou une tapisserie sous le porte-habit, pour garnir et aussi pour préserver les habits de devenir blanc en touchant le mur blanchi. 
exemple de motif de sarong


Moi, j’avais choisi un beau sarong gris, rouge et noir allant bien avec mes meubles et ne coûtant que 27 cents. Je n’avais pas l’intention de dépenser beaucoup pour cela, puisque cela restait dehors la nuit. Enfin, ce sarong a excité la convoitise d’une femme de par ici et voilà, rien de plus simple que de venir le prendre au milieu de la nuit. Seulement notre véranda reste illuminée toute la nuit, c’est comme une lumière à la porte d’entrée dans une maison chez nous par exemple, et comme la fabrique nous fournit assez de lumière, cette lampe reste allumée toute la nuit. Enfin, cette voleuse doit être un peu stouquette (fofolle), car pensez-vous qu’elle aurait pris des précautions en enlevant le sarong que j’avais cloué ? Pas du tout, elle l’arrachait tout simplement, cela faisait bouger le porte-habit et ce fut ce premier bruit qui nous réveilla et ce qui doit aussi avoir attiré le garde de nuit. Enfin, nous étions là, la femme assise sur les escaliers, le garde nous racontant comment il l’avait attrapée et nous deux à regarder, à écouter, etc. A nous demander ce que nous devions en faire. A la fin, Oscar a dit au garde d’emmener cette femme et de lui donner quelques coups avec sa cravache. Avant de s’éloigner avec le garde, la femme se retourne encore et demande : Mais ce beau sarong, est-ce que je ne peux pas l’avoir ? A ces mots et surtout à ce culot, moi j’ai perdu patience et je suis allée chercher un balai, plutôt une verge, avec laquelle nous chassons les moustiques du klamboe, et je voulais lui faire passer ce culot, mais Oscar m’a retenue, disant que cela ne servait à rien, que cette femme devait être un peu folle C’est en effet ce que nous avons appris le lendemain. Mais tout de même, c’est du culot, pas ? Mais ils sont comme cela, les indigènes, ils voient une belle chose, ils en ont envie, ils la prennent comme des enfants qui chipent du sucre. Cette histoire de vol nous a donné une bonne occasion de fermer la maison tôt le soir et de tout rentrer. L’autre soir, en baignant, mon savon est tombé deux fois dans l’eau, et au souper je dis à Buby : il se pourrait bien que les Röhwer viennent ce soir parce que mon savon est tombé 2 fois. Oh, flûte, on va vite fermer les portes. Sitôt dit, sitôt fait, à 7 1/2 heures, toute la maison était toetoep (fermé en malais) et nous deux de « grinse »(ricaner) et de souper tranquillement. Ensuite nous avons passé une belle soirée à lire. Le lendemain, en effet, le vieux Röhwer crie à Oscar depuis son jardin : Hé vous êtes sortis hier soir ? on voulait vous rendre visite mais tout était toetoep. Oscar a répondu que nous avions été au lit tôt parce qu’il avait eu mal à la tête. On a bien ri, et mon savon ne m’a pas trompée. Ils sont embêtants, ces gens, ils s’ennuient tous seuls alors il leur faut toujours des visites ou bien c’est eux qui vont embêter les gens en allant s’asseoir chez eux des soirées entières d’un air de me voilà, amusez-moi. Vous pouvez bien penser que nous, nous avons autres chose à faire, mais ne t’en fais pas, Mamali, nous les aurons quand même une fois cette semaine, pour que l’église reste au milieu. J’y veille !
Fatherli, je répondrai à ta lettre spécialement, aux Char-Lous aussi
All the best toujours de votre Ge…..


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire