30
décembre 1933
Keboemen
D’abord excusez le papier, je l’ai mal déchiré, mais comme
il ne m’en reste pas beaucoup, je l’utilise quand même.
Encore une fois merci mille fois pour toutes vos belles et
bonnes choses de la dame de Noël. Comme vous nous avez gâtés. Et nous qui ne
pouvons rien vous envoyer.
Le premier paquet que Buby prend dans les mains contenait
tes cigarettes, vous auriez dû voir sa figure. Es schmunzle u es grinse
(un sourire avec sous-entendu), j’ai
bien ri. Le premier jour j’ai reçu 2 avis à la fois, c’était pour la caisse à
fromage et pour les disques. Je vous ai déjà écrit que les fromages, ou plutôt
ce que je crois avoir été du vacherin, est arrivé dans un état effroyable, un
jus gris-jaune qui a empesté toute la caisse. Dans la boîte ronde du fromage il
ne restait plus qu’une boule de papier d’étain qui trempait aussi dans le jus.
Avec cela un puage ! Non, on a dû aller se fortifier après. Le café en
grains, les tablettes au malz (du moins je crois que c’était cela parce qu’on
ne pouvait plus bien distinguer, ce n’était qu’une masse brune) ont aussi suivi
le chemin du fromage, tandis que les Tilsit, Gerberli, les cigarettes, sont
intacts. J’ai aussi essayé de sauver les deux plaques de chocolat Kaiser,
pensez, c’était trop bon, le chocolat est bien conservé, mais il a adopté le
goût du fromage pourri et de ce papier d’étain. C’est un goût qu’on ne sent pas
trop par la bouche. Je veux tout de même essayer de pouvoir le sauver encore,
je l’ai toujours à l’air depuis et alternativement dans la glacière, mais rien
ne semble y faire. Les Gerberli sont bons, c’est déjà quelque chose. Oh !
vous savez, il ne faut pas vous en faire, nous en avons tout de même eu un
plaisir fou à notre caisse de la dame de Noël, tout comme aux disques. Ce sont
les tiens donc que j’ai reçus en premier, Mon Dieu quel plaisir ils me font,
mais je n’ai pas pu me retenir de pis…. de l’œil, tu sais, tout en riant de
plaisir, ma foi. J’en ai un plaisir immense, Fatherli, mais tu sais, il ne faut
plus m’en envoyer, je les aime trop et cela pourrait devenir dangereux. N’ayez
pas peur déjà que j’aie le mal du pays et que je suis inconsolable. Maintenant
je peux les écouter avec plaisir
et à sec.
Le lendemain j’ai reçu la troisième caisse, avec les sapins
et surtout les branches qui sont encore belles vertes et qui sentent !!!
Mais c’est merveilleux, c’est toute la forêt qui nous vient dans le nez. J’ai
tout de suite remplacé le Wellington par ces branches, sur la table. Les petits
sapins sont dans des pots à l’ombre et à la pluie qui tombe sans discontinuer
depuis midi. Ils ne sont pas très beaux, le bout des branches est tout brun et
sec, mais j’espère qu’ils reprendront, en tout cas je fais tout pour les
soigner aux fines herbes.
Nous sommes terriblement à court ce mois-ci, je ne sais pas
ce que j’ai fait, ou plutôt si, il y a eu l’événement chez les Visser qui nous
est revenu cher, et puis j’ai acheté quelques petites histoires pour l’arbre de
Noël et nous sommes allés quelques fois à Gombong où se trouve un magasin
chinois un peu mieux assorti qu’ici et on se laisse aller à acheter quelques
petites bonnes choses. La vie ici est bon marché à condition qu’on ait des
goûts simples concernant la nourriture. Je peux faire comme je veux, j’ai tous
les mois pour Fl. 50.00 d’épiceries. Dans cette somme sont compris le beurre,
l’huile de palme, la bière, l’eau minérale etc. Je pense que je vais vous faire
un extrait de mes comptes ce mois, et je vous l’enverrai par courrier
ordinaire, de même qu’à Laren.
Nous ne pouvons pas encore le croire à propos de Linette.
Nous ne savons rien, ni même au juste quand elle s’est endormie. Elle est
heureuse maintenant. Les lettres pour la fête de Buby avaient été retenues par
l’accident du Postjager en Italie, nous les avons seulement reçues samedi soir
et avons appris que Linette avait le typhus. Papa Woldringh et Eddy (frère de Oscar) pensaient que c’était
un cas bénin, et nous ne nous sommes pas fait de soucis. M. Dunlop a été un ami
admirable pour nous, faire 8 heures de train, et quel train, de Batavia ici
pour nous annoncer la nouvelle lui-même !
Il a arrangé que Oscar puisse téléphoner mardi à Laren (Hollande). M. Röhwer n’a pas voulu que
Oscar travaille à Noël (car ici on travaille même les jours de fêtes si le
stock de noix est là pour être pressé). Le mardi nous avons été avec M. Visser
au bureau des téléphones pour notre conversation avec Laren. Elle n’a pas bien
réussi, il y a eu un dégât au studio à Bandoeng et nous avons dû attendre que
cela soit réparé, ensuite quand nous avons pu reprendre notre conversation,
Father W était tellement émotionné que nous n’avons pas compris ce qu’il disait
et lui non plus. Eddy est venu au téléphone, mais personne ne comprenait
personne, il devait à nouveau y avoir des dégâts. En fin de compte nous avons raccroché. A Bandoeng ils ont
été très chics et ne nous ont pas compté de surtaxe. Un appel avec la Suisse
coûte Frs. 125.00 avec préavis naturellement. Tout ce que nous avons pu
apprendre, c’est que Linette a été enterrée le jour de Noël et que Father W. s’est
comporté avec beaucoup de courage.
Il fait un temps merveilleux et partout on entend de la
musique, des radios, du gamelang
(musique javanaise) etc. Ma baboe fait une rijsttafel, donc je ne mets plus les
pieds à la cuisine, c’est à dire que je vais voir de temps en temps pour
apprendre. Elles ont une adresse étonnante ces femmes javanaises. Il y a
quelques instants j’ai essayé de l’imiter comme elle triait les petits plans de
riz que nous mangeons comme légume. Elle fait cela en secouant le grand panier
d’une manière toute spéciale, en le faisant j’ai naturellement tout semé par
terre, vous auriez dû voir comme elle riait.
Buby travaille ce matin, car on va arrêter les machines et
fermer la fabrique pour deux jours parce que c’est Nouvel An. Ce soir la
fabrique offre un grand slamatan aux
ouvriers, c’est un souper composé de riz, la vraie rijsttafel, quoi. Nous
allons aussi voir, parce qu’il y aura de la musique et des danses indigènes. Le
17 janvier c’est le nouvel an des indigènes, ils seront en liesse pour
plusieurs jours. En ce moment ils jeunent tout le jour et il ne leur est permis
de manger qu’après le coucher du soleil jusqu’au lever du jour (Ramadan). Naturellement ils ne vont pas
dormir, mais restent à festoyer toute la nuit et à danser, ce qui fait que le
lendemain ils sont à moitiés fichus et presque incapables de travailler. C’est
aussi une raison pourquoi la fabrique ferme, elle ne perd pas beaucoup. Moi je
ne pense pas du tout au Nouvel An de chez nous, mais je me prépare à le fêter
vraiment à l’indienne et vous raconterai mes impressions dans ma prochaine
lettre.
Sans cela tout va bien, la santé continue à être bonne, j’engraisse à vue d’œil malgré toute la
gymnastique et mes promenades. Buby aussi a bonne mine.
Hier et aujourd’hui étaient jours de mail et je n’ai rien
reçu de vous, qu’est-ce que cela veut dire ?
Bonne et Heureuse Année !
Kraton, Djocjakarta, nov 2013 |
Bonne et heureuse année .
RépondreSupprimerPour le fromage il reste les pinces à linge.... ou la course au dehors...