11
décembre 1933
Keboemen
Je ne suis pas de trop bonne humeur cette après-midi, Oscar
non plus, car le courrier ne nous a rien apporté, ah ! pardon, si, hier
une bonne lettre de Charlot. Ce qu’elle m’a fait plaisir, cette lettre. J’ai
également reçu les Schweizer Illustrierte
et Sie & Er de Tatali.
Nelly, 19 novembre 1933 |
Que s’est-il passé depuis la semaine passée ? ah oui
nous avons reçu nos meubles du chinois de Solo. Nous avons bien arrangé et dans
notre salon, avec encore un coffre nous avons un coin lecture très heimelig.
Oscar dessinera le tout pour vous l’envoyer, mais quand ? nous n’avons
jamais le temps. (cliquez sur la photo pour agrandir)
Nous avons donc fêté St Nicolas le 5 décembre, mais c’est un
jour dont je n’aime pas me rappeler ; tout a été de travers pour moi. Le
matin je me suis levée du pied gauche, le boucher au lieu de m’envoyer du riz
de veau, m’a donné je ne sais quoi de gommeux. Le jour avant j’avais employé
tout mon après-midi à faire des vols-au-vent et deux tourtes. Je n’ai donc pas
eu de farce pour les vols-au-vent, et voulant faire une crème pour garnir mes
tourtes je n’avais pas de sucre assez fin. Le matin tôt j’ai encore fini deux
lettres que le djongos a mises à la poste trop tard, ensuite je le renvoie en
ville pour chercher ce sucre. Il rentre à 11.30 h. Je me mets vite à faire
cette crème, je coupe ma tourte en deux, elle était restée plate comme une
semelle parce que je n’avais pas de poudre à lever, je fourre ma crème au café
entre, je schlargue de la crème dessus, pour finir avec une feuille de papier à
lettre j’ai fait un cornet, mis mon reste de crème dedans et j’ai écrit sur la
tourte 5.XII. Cela enfin m’a bien réussi pour dire que c’était la première fois
que je le faisais. Mon dîner, en fin de compte, dont le menu a dû être changé à
toute vitesse, s’est composé de fausses cuisses de grenouilles avec une sauce
hollandaise de haricots avec pommes de terre et bifteck de veau. Pour dessert
j’avais fait une espèce d’histoire avec des bananes que j’ai sorties de leur
peau, mêlées avec du sherry et remises en place, garnissant le tout avec du
blanc d’œuf battu en neige avec du sucre, cela faisait comme des petits bateaux
et avec ma tourte et du café tout
a bien fini. Vers le soir je vais chez Mme Visser auxquels nous avions envoyé
une cuillère et un poussoir en argent pour la petite. Mais ils ne doivent pas
en avoir eu du plaisir à juger les remerciements qui étaient plutôt froids. La
Röhwer était présente et naturellement elle est devenue jalouse de ce que les
Visser reçoivent un si beau cadeau de nous. Vite le soir je lui ai aussi remis
un petit peigne monté sur argent que je voulais lui donner pour Noël. Elle a
paru contente et ainsi l’église est restée au milieu. Bah ! quel
jour !
Vendredi nous sommes allés avec les Röhwer à Pramboen, une
autre localité avec une immense fabrique de sucre qui ne travaille plus
maintenant, et qui ne conserve plus que quelques Européens, chargés de
surveiller ce qui reste. Nous avons été chez l’administrateur, un homme
charmant, bien éduqué qui avait un tennis éclairé. Tout le monde a joué. J’ai
fait la connaissance de plusieurs dames, mais elles ne me sont pas
sympathiques, à Oscar non plus, mais enfin on est aimable quand même. Pendant
que les messieurs jouaient, quelques dames avec l’aide des servantes ont vite
préparé du riz rôti, un plat spécial ici aux Indes, appelé Nasi Goreng, et des satés,
de la viande cuite à la broche. Mamali, une de ces prochaines fois je t’écrirai
plusieurs recettes nouvelles très simples et bonnes. Nous sommes rentrés à
minuit.
Le lendemain, les Röhwer ont absolument tenu à nous mener à
une grande grotte souterraine, une curiosité dans le pays. Donc départ à 7 h.
du matin, visité la grotte et déjeuné en pic-nic à 9 h. Ensuite pour rentrer
nous avons été jusqu’au au bord de la mer. Mes chers ! un spectacle
pareil, non, je n’en croyais pas mes yeux et ne pouvais pas réaliser que
c’était moi qui avais la chance de voir un spectacle pareil, tiré des contes de
fées. Une chaleur d’au moins 45° c’est vrai, mais qu’est-ce que cela fait.
D’abord nous avons traversé des champs de riz séparés par des forêts de
bambous, Papali, des forêts de bambous si beaux, si beaux, ensuite des dunes de
sable de la hauteur desquelles nous avons eu la mer à nos pieds.
près de Cilacap |
Une mer bleue,
un ciel bleu, à l’horizon des montagnes dans une brume violette, à perte de vue
une grève de sable gris sur lequel viennent mourir des vagues de marée hautes
de 2 mètres et qui en se recourbant faisaient des nuages d’écume blanche. Les
vagues de marée sont très fortes sur le côté sud et ne permettent pas de
baigner. Dans tout ce paysage des indigènes qui pêchaient des crabes, des
crevettes et des femmes avec de grandes cruches aux couleurs vives qui
faisaient du sel. Oscar a fait des photos, mais elles ne sont pas encore
prêtes. Vous les recevrez. Oscar et moi nous étions ébahis de ce spectacle
grandiose, dommage que nous étions avec les Röhwer qui ne cessaient de parler
et ne nous laissaient pas une seconde admirer à notre aise, c’est pourquoi nous
nous sommes bien promis d’y aller seuls, ou avec John et Jans, puisqu’il faut
une auto. Nous sommes donc rentrés samedi vers 13.h, avons dîné et sommes allés
dormir, car nous avions bu de la bière et la chaleur aidant nous n’en pouvions
plus. Hier aussi nous avons dormi toute la journée, déclinant une invitation
des Röhwer pour aller dîner chez eux.
Ils sont bien gentils, mais c’est fatiguant de toujours être avec eux.
Elle est si curieuse, elle voudrait tout savoir de nous, comme elle ne fait
aucune difficulté pour tout nous dire d’eux. Si nous nous laissions emporter
par le courant, on serait ensemble jour et nuit, des inséparables et trois mois
après il y aurait des bringues, aussi sûr que deux et deux font quatre. Elle a
déjà cru commencer par entrer chez moi par la porte de service pour tout voir
et tout entendre, mais je n’ai pas été longtemps à lui apprendre à entrer par
la porte des visites, Oscar m’a d’ailleurs soutenue en cela. Vous allez vous
demander comment nous pouvons nous payer des plaisirs ainsi au milieu de la
semaine, mais c’est que la fabrique a été fermée pour une semaine. Elle
recommence demain et alors fini les vacances.
Ce matin j’ai joué au tennis avec la petite Röhwer. Elle
parle tout le temps, elle est agaçante. Elle coud bien, mais sans coupe et sans
beaucoup de goût. Maintenant elle copie tout ce que j’ai. Mais t’en fais pas,
je suis gentille avec elle. Nous sommes si contents d’avoir pris avec nous tant
de livres. C’est peut être pour nous la chose la plus importante que nous ayons
eu comme bagages, nos livres. Ils nous aident à vivre et à passer des heures
charmantes.
Vers le soir
j’ai vite été en ville pour acheter quelques petites choses, et pour rentrer
j’ai pris une grande route par les champs de riz et j’ai admiré de nouveau un
de ces coucher de soleil fameux. Ce que c’était beau vous ne pouvez pas vous
imaginer cette richesse de couleurs. Un ciel bleu toujours plus foncé puis
vert, violet, des nuages dorés, des montagnes violettes, le tout baigné dans
une atmosphère rose orange avec les forêts de palmiers et les champs de riz
d’un vert changeant sans cesse. Sur tout cela la nuit descendant lentement,
doucement, avec tout un monde d’insectes qui se réveillent et font mille petits
bruits, petits cris, et les mouches luisantes près des arbres comme de petits
phares s’allumant et s’éteignant sans cesse. Et toutes ces senteurs que la
terre exhale ! Ah, charrette, je n’y suis pas insensible au charme des
tropiques et je comprends qu’une fois de nouveau en Europe, on en a toujours
l’ennui, comme ici on a l’ennui des affections et des traditions et habitudes
laissées en Europe.
Cette semaine nous avons enfin reçu le gramophone d’oncle René, mais cela a été une rude déception. Ce
n’est ni un Master’s Voice ni un Columbia, mais une marque tout à fait inconnue
et le gramophone n’a pas dû être neuf, vu l’état dans lequel il est. Le son
n’est pas bon mais tout de même pas trop mauvais de sorte que nous achèterons
quand même quelques disques. Seulement s’il y manque quelque chose nous ne
pourrons pas le faire réparer, tandis que les deux marques que nous avions
demandées ont partout des agences ici, ce qui facilite bien les choses. Enfin,
tant pis, et surtout Papali, tu n’auras rien de plus pressé à faire que d’aller
écrire tout cela à oncle René, gare si je t’attrape, tu sais ! Je vais lui
écrire moi-même pour le remercier, il a cru bien faire, s’il n’a pas réussi,
enfin, non, n’en parlons plus.
Oscar vient de recevoir des nouvelles de Laren, et moi je
n’ai rien reçu, j’espère que la cause n’est pas grave et que c’est seulement un
retard de la poste.
Mes chers, écrivez-moi au moins quand vous aurez reçu toutes
les photos, car nous brûlons de savoir si elles sont bien arrivées. J’espère
que vous en aurez du plaisir. Et
avec tes canards, Papa ? Que faites-vous à Noël ? Allez-vous à St
Gall peut être, ou viennent-ils à Bienne ?
Papali, raconte-moi un peu comment vont les affaires ?
Mes chers chéris encore une fois Bon et Joyeux Noël. Quand
vous viendrez aux Indes vous verrez que ce n’est pas loin et que les gens sont
bêtes quand ils disent : öööööö ! nach Indie, en s’imaginant que l’on
ne peut pas vivre heureux ailleurs que dans son patelin. Bah ! je vous
dis, j’ai trouvé mon eau.
Mes chers……. pour chacun de vous un bon baiser de fête
Votre Ge….
Comme dans tout les pays à l'autre bout du monde, il y a des paysages de toutes beautés et des personnes qui parlent, qui parlent, qui parlent....
RépondreSupprimerEt les lecteurs de CD n'existent pas encore....
Et Joyeux Noël. Les canards doivent faire attention... coin coin cuit cuit