A la main
Tjilatjap
24 octobre 1938
Mon cher Padre
J’ai passé
toute la journée à écrire à Charlot à répondre à toutes ses lettres et
maintenant je veux profiter du courrier pour y joindre une lettre pour toi.
Merci de
tout cœur de ta dernière lettre qui, comme toujours, m’a fait bien plaisir.
(Pas moyen d’écrire droit ce soir je ne sais pas d’où ça vient, je n’ai
pourtant pas bu !)
Je vois d’après
ta lettre que tu es toujours actif et ça me fait plaisir aussi bien que je préfèrerais
quelquefois que cette activité se porte sur un terrain plus conséquent. Mon
Macaroni, tu restes toujours le même, et je crois que si j’étais encore avec
toi au bureau nous aurions des démêlés bien des fois.
Si vous n’avez
rien reçu de Stöcker (magasin de montres à
Bandoeng) au reçu de cette lettre ci, alors écrivez-lui une lettre vous référant
à la commande qu’il m’a fait entrevoir, mais pour l’amour… tâchez de lui envoyer une lettre propre et surtout sans fautes.
Engelke,
pas moyen de l’attraper, il faut attendre une nouvelle visite à Bandoeng pour
cela.
Quant au
chapeau de pêche, plus moyen d’en avoir. Il faut attendre d’être à Soerabaya,
peut être que je les retrouverai là. Je ne peux pas acheter l’armature seule vu
que c’est dans un grand magasin japonais de sport. C’est un article importé et
il faut le prendre comme il est.
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Ce que je pourrais t’envoyer et je désire le
faire depuis longtemps, c’est t’envoyer des chapeaux de coolies d’ici, en paille de riz, ou plutôt en une sorte
de raphia. Ce sont des chapeaux immenses, très léger et qui servent aussi bien
de parapluie que pour abriter du soleil. Ils sont épatants et je puis très bien
m’imaginer ta binette là-dessous !
Seulement
informe toi pour savoir si les pailles importées ne paient pas de droits de douane
très élevés vu que nous avons nous même une industrie de chapeaux de paille en
Suisse.
Question de singes, mon cher, c’est bien une
question de… singe. Il y en a assez ici, c’est vrai, mais il faut les attraper
et puis le transport, les soins et l’acclimatation en Suisse ! Allons, tu
n’y penses pas, c’est de nouveau une de ces fantaisies dont tu ne te corrigeras
jamais ? A ta place j’attendrais
tranquillement d’être millionnaire, ou d’être entièrement remboursé par Brero avant de penser à t’engager
dans une aventure pareille (entre nous, je comprends bien que tu n’étais pas sérieux,
en m’écrivant ça, mais je tenais tout de même à te dire ce qu’il en est !)
Quant aux
nénuphars, j’en ai en effet vu de très jolis là-haut en vacances et j’ai bien
pensé à toi, mais ce n’est pas permis de les exporter. Ici il faut demander des
certificats pour chaque exportation de plantes, d’arbres etc et c’est toute une
histoire et beaucoup de frais. J’ai déjà essayé de vous envoyer des orchidées,
mais j’y ai renoncé pour le moment. Dis à Lehmann qu’il en demande au Jardin
botanique d’Amsterdam.
En ce qui
concerne Brero, (voir Who is who) je suis contente pour lui, je crois aussi en son
génie des affaires et j’ai une très haute opinion et entière confiance en ses
capacités, mais mon cher, il n’a pas la volonté
de te rembourser. S’il voulait vraiment liquider sa dette envers toi, il
pourrait te rembourser soit Fr 25.- par mois. C’est une petite somme qu’il ne
sentirait pas dans ses comptes et à toi et maman cela rendrait toujours
service. Mais entre nous, mon cher Padre, est-ce que toi tu songerais à donner de l’argent à un ami quand tu
peux le contenter de belles paroles ? En tous cas, moi, en bonne commerçante,
j’agirais tout à fait comme Brero. Pourquoi payer quand on peut contenter son
monde avec de belles histoires ? Encore une fois, j’admire Brero, je le
respecte même pour ses mérites incontestables, mais je doute absolument de sa
bonne volonté envers toi.
Mon cher,
je ne tiens pas à en dire plus, tu gobes ces belles promesses et ses grands
projets te rendent heureux, alors
que veux-tu de plus ? Tout ce que je désire, c’est de vous savoir heureux,
et sache bien que je parle tout à fait sans rancune contre Brero. Moi aussi j’ai
entière confiance en son savoir faire, et ma foi, je l’admire vraiment, il m’en
impose, car j’ai des expériences assez étendues ici pour voir les situations d’un
point de vue désintéressé et pour cela juste.
Quant à
Charlot, je ne peux rien te dire, car j’aimerais aussi entendre la cloche de ce
côté là avant de me former une opinion.
Pour
Loulou, c’est la même chose, il y a bien longtemps qu’il ne m’écrit plus.
Et
maintenant mon cher, sans rancune, hein ?
Tu sais que tu es toujours mon
vieux Macaroni que j’aime de tout mon cœur et plus tendrement à mesure que les
années avancent, malgré nos différences à envisager les affaires.
Par
affection amicale de ta grande passion,
j’ai deux oies dans mon jardin et je les aime bien, je t’assure.
Mon bien
cher Padre, avec tous mes vœux pour ta santé, reçois aussi mille tendres
muntschis de ta
Ge….
toujours.
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