24 février 1935
Keboemen
Merci
mille fois pour votre lettre 74 que
nous avons reçue après notre arrivée de Tjilatjap, samedi, donc hier. Nous
avons également reçu d’assez bonnes nouvelles de papa Woldringh, de sorte que
notre rentrée a été parfaite et que nous ne pouvions cesser de répéter :
Ah ! qu’il fait beau à la maison.
Notre
visite à Tjilatjap , a une fois de plus, été très agréable. Nous avons logé
chez les v.Tinteren. Le matin, madame et moi avec la petite, nous allions
accompagner nos maris à la fabrique et revenions en marchant à la maison.
C’était gentil, mais c’est regrettable que je ne sois pas arrivée à marcher
seule, vite et loin. C’est fou avec ces gens qui ont une auto, ils ne font pas
un pas hors de la maison, toujours ils ont le derrière dans leur voiture.
S’ils étaient d’un certain âge, on comprendrait encore, et cela les excuserait,
mais diable, elle est 5 mois plus âgée que moi et lui n’a que 29 ans. Lui, il
approche des 100 kilos et elle en pèse 85-90 à juger de vue. Elle pourrait très
bien aller promener avec la petite tous les matins, vu qu’elle a de très bons
domestiques, mais non, on traîne à la maison ou alors on va faire un tour en
auto au bord de la mer. C’est pourtant gentil, sa koki (baboe-koki, cuisinière) a déjà été en
service chez les parents de son mari, car les v.Tinteren ont été dans le sucre (canne à sucre) ici. Cette koki a vu
naître v.Tinteren, a aidé à le soigner et quand elle a appris qu’il revenait
lui-même aux Indes, marié, elle a fait des pieds et des mains pour entrer en
service chez lui. Elle est toute petite et ratatinée, mais elle cuit à la
perfection. Après notre promenade, nous passions notre temps assises au jardin.
Je me suis amusée à couper et coudre un petit manteau pour la petite, taillé
dans une vieille robe de madame v.T. J’ai d’abord fait la moulure comme pour
une grande personne, et j’y ai mis de la coupe, c’est tordant. La façon est
celle d’un manteau classique tel que Roy
(cousin de Londres) les portait quand
il était petit. Je ne suis pas arrivée à le coudre, de sorte que je vais le
finir ici. J’ai bien d’autres choses à coudre pour moi, charrette, mais étant
là, je me suis dit que j’apprends toujours, que ce soit un grand ou un petit
modèle. Mme v.T. est encore plus bête que moi je ne l’ai jamais été pour
coudre. Ou peut être que je l’étais autant avant d’aller chez Hedy, en tous cas
c’est affreux d’être ainsi.
Le
mercredi soir nous avons eu des
visites. Le jeudi soir nous sommes allés en
visite. Buby a été chez Beerenschot, pendant que v.T. allait chez le docteur
pour une coupure dans le doigt, et que madame et moi allions porter une plante
que j’avais promise à un certain van der Schoor, dont j’avais fait la
connaissance à une visite précédente. Nous nous sommes tous retrouvés chez le
docteur puis nous sommes rentrés. Le vendredi soir, Oscar, madame et moi avons
été au cinéma. D’abord à 5 heures nous avons assisté à un match (football) entre l’équipe de Tjiltjap, des Européens, et l’équipe
d’un bateau ancré à T. pour 2 mois, dans l’attente d’une cargaison pour rentrer
en Europe. A 7 ½ heures donc, nous étions au cinéma, écoutant Das Lied einer Nacht avec Jan Kiepura. Le film
n’était rien, mais c’était beau de l’entendre chanter. Vers les 9 ½ heures
nous sommes rentrés, avons soupé et à 10 ½ heures nous filions vers le
club, appelé Soos ici. Nous y avons
trouvé, assis à la table ronde, tous les officiers du bateau dont j’ai parlé et
encore ceux d’un autre cargo, ancré pour 2 jours, ainsi que la « haute
volée » de Tjilatjap !!! Je connaissais la plupart des femmes de
leurs fréquentes visites à Mme v.T. mais vous auriez dû les voir là !
Pendant leurs visites chez les v.T. elles me paraissaient encore assez
sympathiques, elles étaient aussi très aimables avec moi, et moi avec elles,
naturellement. Mais là, au Soos, avec tous ces hommes, elles étaient comme
retournées. C’était clair à voir qu’elles n’aimaient pas nous voir arriver, et
une fois là, elles ont bien pris soin de m’ignorer, me regardant à la dérobée,
et sans gentillesse, je vous assure. Moi, je ne savais d’abord pas que penser,
et vite, j’ai fouillé dans ma conscience, mais ne trouvant rien, je me suis dit
flûte ! et je me suis tenue tranquille à les observer. J’en ai eu pour mon
compte, une comédie de première classe. Pardi ! chacune d’elles voulait
être la première, la plus belle, la plus admirée et avoir le plus de succès
auprès des loups de mer. Moi, je
leur étais une épine dans l’œil, j’avais mis ma robe bleue de Max, et ma
jaquette grise, la trois quart, du costume. J’avais mis mon bracelet, la chaine
or de papa, bijou de Vienne, et ma belle petite sacoche d’Amérique, tu sais
mamali, la tienne. Enfin, j’étais bien, et sans le chercher (peut être
justement à cause de cela) j’ai conquis la sympathie de plusieurs de ces types.
Bah, ils étaient tous d’un certain âge déjà, mais ces tonnerres d’uniformes
avec leurs épaulettes et tous les galons or, arrivent toujours à impressionner
les cœur féminins. Eh, mais ces femmes, c’était tordant à voir, elles n’étaient
pas assez intelligentes et fines pour ne pas laisser deviner leur jeu, les
vaches !
Je me suis
acheté du crêpe de chine rose avec fines rayures noires formant des carreaux
pour une petite robe. Je vous en enverrai un échantillon. J’ai aussi mis la
main sur du bon vinaigre à 85 cents
le litre. Je ne suis pas encore au bout du tien, Faaatherli, il a été bon.
Mardi
passé nous avons donc été à Djocja-Solo. Buby a vendu un wagon d’huile, ce
n’est pas formidable, mais le prix est assez bon. Nous avons mangé chez Jans
qui a eu un plaisir fou à me voir, le plaisir a été réciproque d’ailleurs. John
a postulé pour une place en Nouvelle
Guinée, j’espère bien qu’il ne l’aura pas, cela m’embêterait assez de les
voir partir, car ils sont et restent quand même nos vrais amis, vraiment
sincères envers nous.
C’est mon
Charlot qui en fait de belles ! J’espère de tout mon cœur qu’il aille
mieux maintenant et que cet empoisonnement n’ait pas de suites ou ne laisse pas
de traces. Mais je le savais que quelqu’un était malade chez vous, j’ai eu
l’intuition à plusieurs reprises pendant ces derniers 15 jours, c’est à dire,
pas directement que quelqu’un de vous soit malade, mais que quelque chose
n’allait pas. Mon Chaggeli !
Et mon
Chüggou (Louis), merci, merci pour ta
lettre. J’en ai eu beaucoup de plaisir. Tu es un chou, mon vieux, de ne pas
m’en vouloir de n’avoir pas encore répondu à tes diverses lettres. Il y a si
longtemps que je veux le faire, mais tu sais bien que je ne t’oublie pas. Mes
frangins, je pense si souvent à vous, mes vieilles nouilles et vieux nouillons.
Nous
sommes à lundi matin. Oscar est
parti au bureau, et moi j’allais justement faire une séance au trône quand il
revient en vitesse, ‘annoncer qu’il partait en tournée de coprah avec M.
Visser. J’ai vite dû lui faire deux tartines, qu’il a fourrée dans sa poche
avec une banane, et voilà parti. Il revient pour dîner. C’est la seule tournée
qu’il n’ait pas encore faite, maintenant il sera au courant de tout, et je
crois bien que Visser ne fait pas cela sans but, car ils ont l’intention de
partir dans les montagnes, toute la famille, surtout pour les gosses. Nous ne
savons pas qui remplacera Visser pendant ce mois, peut être bien que la
fabrique restera seule et que Buby fera les tournées, je n’en sais rien et nous
ne pouvons faire aucune hypothèse. Nous ne savons encore rien de Voskuil, des
nouvelles réorganisations et restons toujours un peu sur le qui-vive concernant un changement de fabrique.
En tous cas, mon Faaather, il ne faut pas te faire d’illusions qu’Oscar fasse une promotion ces prochains temps. Il
n’en est pas question, nous sommes encore trop neufs ici. Il ne faut pas
compter sur ces choses-là avant 4-5 ans. C’est déjà beau qu’après une année, il
soit appelé à remplacer l’administrateur de temps à autre, alors que dans le
temps, on commençait comme 3ème employé, 2ème, premier
comptable, ensuite premier employé, administrateur. Le prochain échelon pour
Buby est déjà premier employé ou administrateur, vous pensez donc bien qu’il
n’a pas encore assez d’expérience pour un poste pareil. Pour le reste, nous
avons eu un mois médiocre nous ne recevrons qu’environ Fl. 30.--, de coprah-geld, mais c’est toujours autant que nous
mettons de côté, pour les impôts et l’assurance.
Faaather,
mon vieux macaroni, tu en fais de belles ! Je ne savais pas que ce Paul
Brand avait des penchants pareils. Comment vont ses affaires à lui, à
l’Oméga ? (les Brand, plusieurs
frères, étaient propriétaires de Omega Watch Co) Et tes collections ?
Bientôt prêtes ? Tu sais ces timbres que je t’ai envoyé la semaine passée,
ils valent déjà Fl. 75.--, à Batavia, soit Frs. 150.--, ce n’est pas peu,
hein ? J’espère que tu en tireras un juste profit si tu décides de les
vendre. Je crois que c’est en Hollande qu’ils atteindront la plus haute valeur.
Mes chers,
j’arrive au bout. Ge…
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