samedi 3 décembre 2016




Tjilatjap

30 juin 1938

Mes chers,

Il y a longtemps que je n’ai plus donné signe de vie, pas ? Cela vient de ce que j’ai eu beaucoup de travail, et j’ai aussi perdu beaucoup de temps à ne rien faire. Voilà : Buby une fois parti au service, j’ai fermé la maison devant et je me suis retirée comme un escargot dans sa coquille. Il y a bien des gens qui voulaient venir me rendre visite, mais quand ils voyaient les portes et les jalousies fermées, ils n’osaient pas insister et s’en allaient pendant que la Näggeli riait sous cape au fond de son jardin. 


Et j’en ai joui de mes 15 jours, j’ai traîné au lit des fois jusqu’à 10 heures, avec un beau livre, ou bien j’allais me promener le long de la plage le matin à 6 heures. Je rentrais quand je voulais, je dînais quand cela me plaisait, et surtout je me couchais très tôt. Je me suis fait un bien énorme. J’ai aussi remué dans toute la maison, j’ai eu un ouvrier pour faire re-cirer mes meubles, bref, tout était bien sens dessus sens dessous jusqu’au jour avant que Buby arrive. Je n’ai aussi rien mis d’autre que des pyjamas pendant les 15 jours. C’était vive la liberté et le laisser aller sous tous les rapports. Cela m’a fait un bien énorme et c’est avec grand plaisir et impatience que j’ai été attendre Buby à Poerwokerto le samedi soir. Il était démobilisé à 2 heures de l’après midi, juste à temps pour prendre le train de nuit qui arrivait à Poerwokerto à 2 heures de la nuit. Je suis partie en auto à minuit d’ici, avec Lovius. J’avais passé la soirée chez les Oliemans et ils ne voulaient pas me laisser aller seule, alors Lovius est venu avec moi parce que sa femme est loin aussi pour quelques temps. Poerwokerto est à 60 km de Tjilatjap. Je crois qu’en Suisse on ferait bien des histoires pour faire un tel trajet, par un temps de chien, il pleuvait tout ce qu’il pouvait, mais voilà, ici on s’habitue à tout.
Oscar a eu un bon service, il devait beaucoup travailler, car ils sont devenus très très sévères, mais l’ambiance et les soins étaient très bons. Il a tout de même été content de revenir et surtout de retrouver son bon pieu (lit). Il m’a rapporté une jolie powderdose en argent, très finement travaillée, très très jolie. Depuis qu’il est à la maison nous ne sommes pas encore sortis, c’est vive la joie d’être ensemble.
J’ai reçu tes Reiseberichten (rapports de voyage), merci mille fois, j’ai déjà commençé à les lire. Et puis, qu’est-ce que tu fais de me gâter pareillement. J’ai reçu ces magnifiques souliers, ils sont splendides et me vont d’une façon épatante. Comment fais-tu pour savoir, tout juste ma mesure et la forme de mon pied ? Oh, si tu savait quel luxe c’est d’enfiler un soulier pareil et de marcher avec !!! C’est merveilleux, aussi j’ai décidé de ne plus m’acheter de souliers chinois, mais seulement de marcher sur du Bally ! Dis-moi combien tu les paies en Suisse, afin que je sache combien je dois t’envoyer environ quand j’en voudrai une nouvelle paire. Ici on n’a pas de souliers Bally en cuir au-dessous de Fl. 18.- minimum, ce qui fait environ Frs. 40.- . J’ai reçu aujourd’hui le deuxième, et naturellement ils n’ont pas quitté mes pieds ; ils sont merveilleux. J’ai déjà eu tant de plaisir aux marines et tout le monde les admire ici, tout de suite on remarque que ce sont des souliers extra bien. Et quand je les porte, je me sens tellement bien habillée avec ce finishing touch !
Est-ce que je t’ai remerciée pour le Jäckli rose ? Il est si joli, Mamms, et maintenant pendant ces jours de pluie j’ai déjà souvent eu l’occasion de le porter. Buby aussi le trouve tellement joli.
Hier soir au lit j’ai encore lu dans le Reisebericht !  n’importe quel aveugle voit comment tu t’es sentie à Bruxelles. Il n’y a qu’à comparer ton style de Bruxelles et celui d’Unterwasser ! Oh Mài ! tu ne peux pas me faire prendre un X pour un U. Nous n’avons plus écrit à Papa W. depuis Pâques. C’est honteux et Oscar est tellement paresseux pour ces choses-là, c’est affreux. Tout le temps qu’il est à la maison il est assis au piano, pas moyen de l’en dévisser. Quand il n’est pas assis au piano, il est dedans, car il est vieux (le piano !) et il y a toujours quelque chose à corriger ou à rafistoler et Buby se mêle même de l’accorder. Tu devrais voir cela, ce piano tout démonté dans le coin de la chambre.
Depuis que je suis ce nouveau régime je me trouve bien maintenant, j’ai déjà engraissé un peu. Mais je n’ose pas non plus me fâcher, sans quoi j’ai tout de suite de nouveau mal au ventre et de la température, alors je fais comme toi, je prends la vie comme elle vient et ne m’en fais pas.
Dans ta lettre 187 tu m’écris que la diète que je devais suivre ne te plaisait pas mais que tu ne pouvais rien me dire vu que tu ne connaissais pas le climat, ni nos mœurs ni notre nourriture. Bon sang, je comprends que tu ne connaisses pas le climat mais quand aux mœurs et à la nourriture, il me semble que je vous en ai déjà écrit des chapitres, là-dessus. Enfin, c’est vrai que pour vous les Indes sont et restent à l’autre bout du monde, tandis que nous on se sent si près de l’Europe. Ils construisent des avions maintenant pour pouvoir voler jour et nuit ce qui réduira le voyage d’Amsterdam à Batavia à 2 ½ jours. N’est-ce pas splendide ? Il n’y a plus que le prix du voyage qui soit encore trop cher, du moins pour nous, mais cela viendra aussi.
Mamms, moi non plus je ne bois plus de café, je l’ai remplacé par de l’ovomaltine, le matin.
Tenez-vous, nous avons reçu une gratification de deux mois de salaire, avec la mention que l’année prochaine, si les affaires ne deviennent pas bien meilleures, nous n’aurons rien. En attendant cela nous fait Fl. 700.- que nous avons empochés comme cela. Nous avons immédiatement mis Fl. 400.- sur le compte d’épargnes de la Mexolie qui nous rapporte du 4%. Les autres Fl. 300.- je les ai mis sur notre carnet d’épargne à la poste. C’est qu’ici on a une Post Spahrbank, ce qui est très pratique, et très sûr aussi Maintenant au moins on peut respirer un peu, ayant quelque chose de côté, c’est pas encore la fortune, mais toujours un petit commencement.
Oscar a le béguin de s’acheter un ciné Kodak, il en est revenu du service tout fou, alors je suis aussi d’accord. Nous allons nous payer cela peur notre Noël et alors vous recevrez des films que vous pourrez garder. Hein, Mamms ! 
Environ le 6 août nous partirons pour Bandoeng, pour nos vacances de trois semaines. Nous passerons deux semaines avec les Boese dans une petite maison de montagne, il n’y aura rien là que la grande nature, pas d’hôtel, pas de magasins, rien. On prend deux domestiques avec et nous ferons notre propre ménage. On se réjouit de faire de belles courses dans la forêt vierge. Pour cela je me fais faire de hautes bottes jusqu’au genou. Cela nous fera du bien, et il fera froid, car c’est à la hauteur de Chasseral (1600 m) que nous serons. La première semaine, du 6 au 13 août, nous la passerons ensemble quelque part dans un hôtel à Bandoeng ou n’importe où, nous ne savons pas encore, mais nous avons bien l’intention de nous payer du bon temps. Je suis contente de ne pas être ici pour nos fêtes (mariage et fête de Nelly), ainsi je n’ai pas besoin de recevoir et de m’en faire.
Je suis en train de coudre, de coudre ayant beaucoup à faire à coudre des robes, des pyjamas etc.
Je suis contente de vous savoir à Sutz de nouveau, profitez-en notre beau Sutz est unique. J’y pense souvent quand je vais me promener le long de la plage ici, cela me rappelle tant notre lac avec l’île de St Pierre. J’aime à penser que tu es couchée à ma petite place, j’en ai tant joui.
Moi aussi j’ai planté beaucoup de zinnia ici, mais les premiers n’ont pas bien pris alors j’en ai re-semé, et aussi des petunia, des phlox etc.
Mes chers, voilà, je dois encore écrire à papa W. puisque Oscar ne veut pas le faire. Et puis j’irai chez la tailleuse avec Elly Oliemans. Ils vont partir en vacances et c’est moi qui m’occupe de sa garde robe. 

Je me fais aussi faire une shanghaï dress chez la petite tailleuse chinoise. Si elle est bien réussie je vous en enverrai une photo, tu sais une de ces robes chinoises, telles que les porte Madame Chiang Kai Shek !
Voilà mes bien chers, une lettre plus longue à la prochaine fois.









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