dimanche 11 décembre 2016




Tjilatjap

3 juillet 1938

A sa maman
Je viens de terminer la lecture de ton Reisebericht. J’en ai eu un profond plaisir, tel que je me suis immédiatement mise à ma machine pour causer un peu avec ma Rötteli.
C’est dimanche. Ce matin j’ai été au docteur avec Buby pour une piqûre d’extrait de foie (huile de foie de morue ?). Il m’en fait faire une cure, il paraît que toutes les femmes font cela ici, que c’est excellent pour combattre l’anémie. Après cette visite, Oscar est allé à la fabrique jeter un coup d’œil, j’ai été avec lui jusque devant la fabrique, ensuite j’ai marché à la maison pour avoir un peu de mouvement à cause de ma piqûre, car elles font assez mal, ces charrettes ! Je me suis arrêtée chez quelques Chinois, pour acheter des fondants, des brosses à dent etc. En arrivant à la maison, Buby y était déjà, ayant passé avec l’auto pendant que j’étais au fond des magasins, ainsi on s’est manqué. Une fois rentré, il s’est mis au piano et moi j’ai fait de l’ordre un peu par toute la maison. J’ai aussi engueulé la baboe qui est bête comme tout. Elle travaille comme une machine et elle peut passer une année auprès d’une pile de choses elle ne la rangera pas si je ne le lui dis pas. Vers midi, le docteur est venu pour la rijsttafel. Sa femme est partie en vacances avant hier, alors comme il est seul je l’avais invité et il a accepté avec plaisir. Nous avons mangé au jardin et il a trouvé cela très joli. Fidèle à mon principe, je n’ai rien fait d’extra, absolument rien, mais je crois que cela lui a plu tout de même. Il n’est parti qu’à trois heures et demie, et comme nous voulions aller jouer au tennis à 4 heures, ce n’était plus la peine d’aller dormir, c’est ainsi que j’ai fini de lire et relire les Reisebricht de ma Rötteli, et que je lui écris en ce moment. Ainsi vous avez l’emploi de toute ma journée. Ce matin je me suis déjà levée à 6 ½ heures pour aller dire au revoir aux Oliemans qui partaient en vacances également. Ils resteront un mois, et je pense que j’irai aussi pour quelques jours là où ils sont. J’aime beaucoup Elly Oliemans, elle a mon âge, nous nous entendons bien. Son mari, Wil, viendra dîner chez nous souvent pendant son absence. Il est l’agent de la Banque ici.
Mynes Rötteli, elle te manque bien ta Girrly, je le sais, mais tout de même je ne puis faire en sorte de venir en Suisse avant Oscar, du moins sans raison très urgente. Là, au service, il y avait beaucoup de ses collègues qui pouvaient partir en congé d’Europe, et ils faisaient tous des plans, alors cela a tellement fait envie à Buby qu’il est revenu plein de dégoût contre la Banque et la Mexolie et jusqu’à présent il n’a pas encore retrouvé son plaisir au travail. Il y aura 5 ans que nous sommes ici, et nous n’entendons encore rien à propos d’un congé. Vraiment Oscar en a le spleen maintenant. Jusqu’à présent, il n’a jamais eu l’ennui, c’était seulement moi de temps en temps, mais maintenant les rôles ont changé. Cela ne veut pas dire que je ne désirerais pas aussi aller en Europe, mais pour le moment je sais mieux maîtriser mon désir que lui. Vraiment il est dans une passe où je ne voudrais pas le quitter. Je sais que cela ne durera pas longtemps, mais tout de même ! Enfin, nous partons bientôt dans les montagnes, cela changera les idées.
Je pense que nous resterons plus longtemps à Tjilatjap que nous n’avons prévu. D’abord Bigot nous avait dit que nous y resterions au plus une année, mais maintenant il est à Amsterdam dans une autre branche et tout ce qu’il a dit ne vaut plus rien. Au fonds, cela m’est égal de rester ici. C’est bien un petit trou mais la nature y est belle, je suis contente de ma maison, nous pouvons faire quelques économies et voilà, en attendant on pourrait être plus mal.
Si seulement la famille s’agrandissait ! Cela manque terriblement quelquefois. Tu n’oublieras pas de me répondre sur ce que je t’ai écrit dans une de mes lettres précédentes à ce sujet.
Nous n’avons pas été jouer au tennis après tout, car il semblait vouloir pleuvoir. Après le thé nous avons été faire un tour au bord de la mer. Nous avons longé la plage et chassé les crabes hors de leur coquille, la mer était agitée comme notre lac quand il y a le Joran (vent venant de la montagne au nord-ouest) et on voyait bien l’île, c’était joli et j’en ai beaucoup joui. Maintenant on vient de recevoir un téléphone d’un monsieur qui est aussi seul ici, sa femme est en vacances, alors il a demandé s’il pouvait venir, il y a un beau concert de Beethoven au radio ce soir, nous l’écouterons ensemble. Vendredi soir ce monsieur était aussi ici pour faire de la musique, il joue assez bien du violon et Buby l’accompagne, ainsi nous avons quelque fois de la musique de chambre. J’aime beaucoup cela et notre grand salon se prête si bien à des soirées pareilles. Vraiment nous habitons très bien, et je ne me gêne pas de dire que j’ai su tirer le maximum de cette maison. Hm ! cela pue hein ?
Le temps est de nouveau couvert aujourd’hui, c’est formidable toute la pluie que nous avons eue depuis bientôt deux semaines. Il y a longtemps que nous devrions avoir la saison sèche, et nous n‘avons rien que de la pluie, nuit et jour presque, et des orages. Partout il y a des inondations. Quand il pleut, c’est tellement fort qu’en 10 minutes mon jardin est complètement sous l’eau. Et chez vous, est-ce que la sècheresse dure encore ?
J’espère que tu auras reçu les photos maintenant. Je me demande ce que vous en direz ? C’est Boese qui les a faites, un dimanche après midi quand je logeais chez eux à Bandoeng. On a bien ri en les faisant. Il a fait en tout 15 poses et c’est la moins posée qui a le mieux réussi. Quand nous serons ensemble en vacances, il veut tâcher d’en faire une de Buby et de moi ensemble. Quand on a fait ces photos je n’avais pas encore été chez le coiffeur, c’est dommage car maintenant ma coiffure est plus High life, with the finishing touch !
Dis-donc, qui est cette demoiselle Cecchina de St Gall ? Je ne la connais pas et ne peux pas me rappeler qui ce pourrait être. J’ai rêvé de Tatali cette nuit. Elle était assise avec moi au club, et parce que je suis venue en retard au rendez-vous, elle était un peu fâchée et surtout assez aigrie. Cela m’a fait mal au cœur, elle m’a reproché qu’on ne l’aimait pas assez. Et pourtant j’y pense souvent, et plus j’y pense, plus je suis contente qu’elle nous ait quittés.
Je trouve l’échantillon de ton manteau neuf très joli. Tu as raison de rester bien habillée, et ne te laisse pas influencer par le bon marché de gens comme les Racine. Il y a qualité et articles de série, nous, on est de la qualité, un point c’est tout.
C’est jamais la peine de discuter, et surtout pas avec le Padre. C’est un bon Macaroni, mais il y a des choses auxquelles il ne comprendra jamais rien.
Mamms, je te quitte de nouveau pour aujourd’hui. A la prochaine, à bientôt,  ta……




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