mercredi 30 décembre 2015





20 août 1934

Keboemen

Merci pour ta lettre du 5 courant, mamali, et Charlot aussi, nous avons lu ton exposé avec grand intérêt comme toujours. Par même courrier nous avons reçu un exposé environ sur le même sujet de Papa Woldringh. C’était intéressant de comparer, mais le tien est bon aussi, Oscar l’a dit, mais qu’il fallait les considérer chacun sous son propre point de vue.
Ach, mes chers, ne me demandez pas de vous en écrire long cette foi-ci. Nous avons bien mal au cœur, car hier soir notre Topsy est mort après une terrible agonie. Nous l’avons enterré ce matin et ne pouvons pas nous défaire de notre triste impression de deuil. Moi, j’ai pleuré. Il a commencé d’être malade mardi, mercredi quand nous nous sommes aperçus qu’il avait du sang dans ses selles. Nous avons fait ce que nous avons pu pour lui, quand cela ne voulait pas s’améliorer, nous avons téléphoné aux Engelhart qui sont venus vendredi soir avec toutes sortes de remèdes. Nous l’avons bien soigné, et samedi nous étions plein d’espoir, mais vers le soir il a commencé à saigner du nez, d’abord un peu, quelques gouttes seulement de temps en temps. Cela a duré pendant toute la nuit, je l’avais à côté de mon lt pour le veiller, mais nous n’avons pas dormi les deux, nous regrettions tant de le perdre, car nous avions appris à l’aimer beaucoup. Dimanche nous ne l’avons pas quitté d’une minute pendant toute la journée, nous avons même mangé au salon, près de lui. Il s’affaiblissait très vite et le sang n’arrêtait pas, de sorte que nous avions perdu l’espoir, quand un moment il est devenu plus calme et le sang a cessé. Notre espoir renaissait, surtout chez Oscar, mais moi, je ne me fais pas trop au changement et craignais bien que ce soit le commencement de la fin. Dimanche soir donc, nous avons résolu de le veiller à tour de rôle, ce n’était pas nécessaire de manquer notre sommeil, les deux. Ayant dormi l’après midi, j’ai envoyé Oscar se coucher d’abord. Je devais le réveiller à 11. h. mais à 10. h. soit 22 heures, les crises de toux avaient cessé depuis peu, Topsy tout à coup s’est levé, il voulait partir, mais ne le pouvait pas, étant trop faible. Après avoir crié ou plutôt pleuré deux fois, il s’est de nouveau affaissé en soufflant terriblement fort, comme une locomotive, tout en perdant continuellement du sang par le nez et par la bouche, enfin à 11 h. il a expiré avec deux trois soupirs de soulagement. Mais je crois que c’est à 10 heures qu’il a rendu l’âme. J’ai appelé Oscar et tous deux nous l’avons veillé pendant ses dernières minutes. Ensuite nous l’avons cousu dans une natte et porté dans le pavillon, tout en désinfectant le salon hâtivement. Une minute après que Topsy soit mort, Tipsie, qui dormait dans la chambre de travail, a poussé un cri et pleuré pendant quelques instants. A minuit tout était prêt, nous avons été coucher, mais avions de la peine à nous endormir. Aujourd’hui, pendant toute la journée nous avons vraiment eu le cœur en deuil, Tipsie aussi est toute triste, elle ne comprend rien à la situation. Ils jouaient et gambadaient ensemble toute la journée, c’était unique à voir ces deux jeunes chiens s’amuser, se taquiner, se chicaner, puis de nouveau se flatter et repartir s’amuser. Je n’aurais jamais cru que je m’y attacherais tant. Cela me fait si mal au coeur ! Enfin il faut se surmonter, c’est vrai que nous sommes bien fatigués, les deux. Jeudi soir les Visser nous ont demandé de venir jouer au bridge, Monsieur La Bastide, Dr. en chimie, étant ici pour deux jours et un fervent joueur de bridge. Moi je n’ai pas joué avec, seulement Oscar. J’ai commencé un coussin au crochet. Je t’enverrai un échantillon de la soie, mamali. Nous sommes rentrés très tard. Vendredi soir nous avons donc eu les Engelhart ; à 9 heures, quand nous étions prêts avec les soins à donner à Topsy, je leur ai demandé de rester à souper. Nous avions du nassi goreng, mais comme il n’y en avait pas assez pour 4, j’ai fait faire quelques œufs au miroir et ouvert une boîte de sardines. Ainsi c’est très bien allé et nous avons passé une soirée très agréable malgré tout. Mme E. m’a apporté une portion de choux frisés de son jardin, et un immense bouquet de fleurs, des fleurs blanches comme du genêt, cela fait des bouquets merveilleux et sent très bon. J’ai aussi reçu tout un bouquet de violettes, de belles grosses violettes qui sentent si bon. Chaque fois qu’elle vient, elle apporte quelque chose de son jardin. Eux aussi sont très, très généreux, comme madame Visser. Mais grand merci, les E. sont beaucoup plus intéressants. Ils connaissent tellement de choses des Indes, surtout la botanique, et je pourrai beaucoup apprendre par eux. Nous les avons complètement conquis maintenant. Elle me rappelle beaucoup beaucoup la Fanely (sœur cadette de Rose). Elle est coiffée la même chose, elle a la même taille et quelque chose dans les yeux et autour des yeux qui me rappelle absolument « myne Bänggu ». Aussi la bouche, dans l’expression, a quelque chose de Fanely, enfin vous pouvez bien comprendre qu’elle me soit sympathique ainsi. Un dimanche, nous irons passer toute la journée chez eux. Nous ferons aussi des pic-nics ensemble et nous avons projeté beaucoup de jolies excursions dans les environs de Keboemen qui doivent être exceptionnellement jolis et que nous ne connaissons pas encore. C’est vrai, les Visser pour cela ne sont pas agréables. C’est l’usage ici, quand on est administrateur d’une « onderneming » on groupe ses employés autour de soi, on forme une petite société, de temps en temps on s’accorde un plaisir en commun. Mais  les V. en cela n’ont pris aucun soin de nous. Non je ne peux pas dire aucun, c’est faux, ils ont bien été gentils à leur manière, mais ils ne tiennent pas aux excursions, aux pic-nics etc. Visser n’a aucun plaisir à la nature, son plus grand plaisir c’est de jouer aux cartes, il y passe des dimanches entiers avec sa femme, ils jouent à l’écarté. Enfin, il faut prendre les gens comme ils sont, et cela n’est pas si difficile quand ils nous sont indifférents. Enfin, ces prochaines semaines il n’est de nouveau pas permis de penser à quelque sortie que ce soit, car les Röhwer allant pour un mois à Batavia, il est venu l’ordre de Soerabaya, donc du head office, qu’Oscar devait se charger de la marche de la fabrique, ensemble avec le jeune Blockhuis, le chimiste qui n’a rien à faire en ce moment et qui est au bureau vers Oscar pour apprendre la comptabilité. Cela veut dire que le mois de septembre sera extrêmement fatiguant et sévère, plus même un dimanche après midi de libre, mais tout de même c’est réjouissant car ils doivent avoir une très bonne opinion de nous à Soerabaya, chargeant Oscar ainsi de n’importe quoi. Ils le considèrent vraiment comme all sided. Après nous demanderons quelques jours de congé, car vraiment il nous faut sortir un peu, Oscar doit se détendre un peu. C’est même Visser qui le trouve et nous dit d’acheter une auto pour mieux profiter des courts moments de congé, mais flûte, on en a pas les moyens encore. Nous allons nous payer deux vélos, j’ai déjà le mien à l’essai. On pourra faire de gentilles petites tournées, le soir par exemple, surtout pendant la saison des pluies, quand le tennis n’est pas sec vers le soir.
J’ai bien senti mes rhumatismes, cette semaine, c’est plutôt mes névralgies dans mes mains et mes bras. Je vais me faire des robes à longues manches. Je serai contente d’avoir mon cape aussi, je suis si contente, I look so much forward to it. Autrement nous nous sentons bien, il n’y a pas à vous inquiéter, hein, tu vois je te dis bien tout, mais pour cela ne saute pas au plafond.
Et maintenant je vais terminer. Il est déjà tard, Oscar est au lit, lisant. Sa lettre à Laren n’est pas finie, il la terminera vite demain matin, mais moi je veux aller avec Nicki et faire une bonne et belle promenade, donc je n’aurai pas le temps de terminer le courrier. C’est plus sûr de le faire à présent. Mon vieux macaroni, j’ai encore toujours la même bringue pour aller au lit, ma toilette me prend toujours un temps norme, ensuite il faut aller rendre une visite aux …iottes, ensuite il faut voir si tout est fermé partout, ensuite il faut voir s’il y a des moustiques dans la moustiquaire, ensuite il faut encore boire un peu de sirop, ensuite il faut aérer la chambre pendant que je prépare les pantalons de Buby pour le lendemain, ensuite il faut se regarder dans la glace encore, ou penser à cela et ceci pendant qu’on ramone le nez, ensuite, ensuite, etc. Enfin, je n’ai pas changé et Oscar dit comme les garçons : Oh ! ces femmes, c’est jamais prêt.
Mamali chérie, je répondrai en détail à ta lettre la semaine prochaine, vous pouvez être contents, je suis quand même arrivée à faire mes deux pages, mais je bâille, je bâille…


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