samedi 12 décembre 2015




28 juillet 1934

Keboemen

Quelle affreuse nouvelle nous avons appris d’Autriche ! De lire ce meurtre du Chancelier Dollfuss (chancelier autrichien, tué par les Nazi) m’a rendue presque malade, tout le monde ici au premier moment croyait fermement que cela déclencherait la guerre, exactement 20 ans après l’horrible boucherie de 1914. Les secondes dépêches nous ont ensuite un peu tranquillisés, mais au fonds de nous-mêmes il persiste toujours encore une certaine angoisse. Mes chers, je n’oserais pas y penser, et je prie, je prie pour vous tous, pour notre Suisse et pour l’humanité entière, surtout pour toutes les mamans qui ont des fils, et les femmes qui ont des maris et les sœurs qui ont des frères. Ah ! ce sont des moments pendant lesquels on sent durement la distance. Mais mes chers, il nous reste rien d’autre que d’avoir confiance et beaucoup de courage. Notre confiance et notre foi n’empêcheront pas la guerre, mais cela aide tant à vivre et à supporter ce que la vie nous donne à supporter. Moi, je ne sais pas ce que je ferais si je n’avais pas la foi N’est-ce pas  mes chers, vous l’avez aussi cette foi. Unis en elle cela nous rend forts pour supporter ce que l’avenir nous envoie. C’est pourquoi, quand j’étais tellement abattue de cette nouvelle, Oscar m’a dit que je n‘avais, ou plutôt, que nous n’avions pas le droit d’être tristes et de nous sentir malheureux, nous qui possédons un tel bonheur intime, et cela c’est vrai, je suis si comblée d’un côté, qu’il faut que cela m’aide à supporter l‘autre, celui d’être séparée  de vous tous.

riz mûr

J’ai fait ce soir une petite promenade à travers les champs de riz que l’on moissonne maintenant. C’était merveilleux, le soir descendait lentement, les nuages se teintaient de rose, les montagnes de violet, et dans ce crépuscule, les champs dorés prenaient toute la lumière du couchant et formaient des mers aux vagues d’or. Les deux bords tout le long de la route étaient garnis des épis de riz moissonnés pendant la journée et assemblés en bouquet. Vous savez que le riz se moissonne à la main, épis par épis, ce n’est pas permis d’en couper deux à la fois, de sorte qu’une récolte exige des centaines d’ouvriers, la plupart des femmes, qui en rangs serrés avancent lentement, coupant brin par brin la récolte de ces champs immenses. 


Pour se protéger du soleil elles ont mis des selendang, ce sont des espèces de châles en toile batik et souvent de couleurs brillantes sur leur tête et leurs épaules, ou elles portent d’immenses chapeaux ronds qui, eux aussi sont teints à l’indigo et à la cochenille, deux couleurs splendides à voir dans ces champs jaunes. Vraiment j’en ai joui de ma promenade.
Oscar pendant ce temps jouait au tennis avec m. V. Sa raquette a sauté hier soir alors je lui prête la mienne pendant que nous faisons réparer la sienne, et moi je prends de l’exercice en allant me promener pendant ce temps. Madame V. semble en avoir assez de nos promenades, elle ne vient plus me chercher le matin, mais cela ne me fait pas grand’chose, j’aime tout autant aller seule, et maintenant qu’on me connaît un peu par ici surtout, les indigènes ne me regardent plus comme si j’avais des cornes, mais ne semblent plus s’étonner de voir cette Européenne faire de la marche alors qu’elle pourrait sûrement se payer une voiture.
(My dears ! Juste a few lines in between from Oscar !!! Everybody shout : est-ce possible ? I know I’m a bad boy, but I’m sure you’ll try to forgive me i f you kow how I’m trying my utmost to keep your girlie the happy girl she always was, and from her letters to you you’ll know that I do succeed in that, whilst to me she is more than I ever could dream my whole hjappiness. Itr’s simply wonderful the life we live here together and how hard I have to work, it still seems nothing in comparison to the recompense I get at home. It’s true, I have a hard time of it now in the office, but never mind one gets used to all and in time all the difficulties pass. It does’nt hinder me however to remember the wonderful time we had a year ago when you will receive this letter. Thanks also to all of you it’s been ever such a happy year we both have lived together. Love to everybody and a kiss from   Oscar )
Dimanche le 30 juillet. Nous venons de dîner, un bon caneton comme d’habitude, et du riz sec, avec de la salade aux concombres, pour dessert une crème au jus d’orange, invention de ma baboe et qui a très bien réussi.
Hier soir, hourra, pour la première fois, j’ai goûté la salade de mon jardin. De la salade crue, pensez-donc mes chers, je n’en avais plus mangé depuis mon départ de Batavia, non, depuis mon départ de la maison en me rappelant bien. Quelle fête aussi. Oscar lui, n’en a pas mangé, n’ayant pas faim, étant trop fatigué et grinche, entre autre il trouvait la salade à Laren bien meilleure, surtout l’assaisonnement. Merci, je l’ai laissé dire et faire la grimace, il en restait d’autant plus pour moi !!! Nous avons eu des pommes de terre rondes avec du beurre et du fromage, c’était exquis. Elle a de la peine à faire des têtes, ma salade, je crois qu’elle n’a pas eu assez de soleil, car ayant peur qu’elle en eût trop, je la faisais couvrir pendant le jour. Je vais essayer d’un autre système, maintenant.
Ce matin, j’ai de nouveau marché en ville pour aller au coiffeur. Il m’avait dit qu’il venait à Keboemen tous les derniers dimanches du mois, alors que c’est tous les 4 dimanches du mois. J’y ai donc été pour rien et me voici avec une sale coupe par excellence jusqu’à quand ? j’ai aussi été cherché le courrier à la poste et quelle joie d’y trouver une longue lettre de Charlot et la carte de Papali des Rangiers. Il a dû faire beau là-haut !
Dans le journal de hier au soir, les dépêches n’apportent pas beaucoup de neuf, j’espère bien que ce soit de bon augure.
Lundi matin, mes chers, hier soir j’ai commencé un livre hollandais, une histoire qui se passe ici aux Indes et… je n’ai pas pu le lâcher malgré ma mauvaise conscience qui ne manquait pas de me répéter que je devais écrire. J’espère toutefois que vous ne m’en voudrez pas trop.
Hier, en sortant de table, il arrive un javanais avec une immense corbeille ronde sur la tête. Nous étions en train de nous demander ce qu’il voulait et attendions que le djongos vienne nous le dire. C’était un garçon envoyé par le menuisier de la fabrique qui nous faisait de cadeau tout un slamatan, c’est à dire qu’il nous envoyait des pommes de terre, des haricots, des radis, des carottes, des bananes, un gros chou, 10 œufs, et une belle poule. Il marie sa fille demain, il y a naturellement grande fête chez lui et la politesse lui prescrit d’aussi en faire profiter ses maîtres. Nous en avons eu beaucoup de plaisir et ce matin je lui ai donné 5 Fl comme cadeau de noces pour sa fille. Tout à l’heure j’irai chez madame V. demander si j’ai bien fait ou non, je ne suis pas encore sûre de ma manière d’agir en des cas pareils. Oui, ce n’est pas toujours aussi facile de trouver le juste milieu, ce sont toutes des choses qu’il faut apprendre par expérience, et heureusement que j’ai un tact assez développé cela me prévient de faire bien des bêtises. Encore une fois, qu’est-ce qu’elle ferait la Hanny à ma place !!!?
L’autre soir après les nouvelles d’Autriche, Visser est venu un moment chez nous, juste pour en parler, alors étant assis dans notre salon il a vu les fenêtres, nous avons dit que nous étions si contentes de les avoir et que si c’était possible nous en aimerions encore aux deux autres, mais que, paraît-il, il n’y en avait plus à la fabrique. Ce matin, il paraît que V. a dit au vieux Röhwer (qui assure le soin des maisons) un peu brusquement qu’il devait chercher des fenêtres pour Woldringh, et aussi qu’il devait faire peindre les portails ( ? ou est-ce portaux qu’on dit ?) et cela un peu vite. Maintenant naturellement R. croit que nous nous sommes plaint à Visser et voilà une cause de plus pour piquer la boule sur nous. C’est pour le coup qu’ils vont nous pousser une gueule. Nous avons discuté de la chose, Oscar et moi, si nous devions tâcher d’arranger les choses, mais après réflexion, il vaut encore mieux laisser aller les choses leur train, moins on dit mieux cela vaut. Tout ce que nous pourrions encore dire maintenant pourrait encore une fois être pris d’un mauvais côté et cela ne ferait qu’envenimer la situation. Mais je suis sûre que V. a eu une boule sur R. et cela lui était justement une bonne occasion de le tarabuster un peu, ne pensant naturellement pas qu’il nous jouait un mauvais tour ainsi. Oh voyez-vous il faut tellement faire attention, pas seulement à ce qu’on dit, mais aussi à la façon dont les gens sont susceptibles de saisir, de prendre nos paroles, dans quel sens. Ce n’est pas que la nouvelle situation avec les R. nous touche beaucoup. Il y a si longtemps que je ne l’ai plus vue, elle, ou plutôt que nous n’avons plus parlé ensemble, et je suis bien ainsi. Nous sommes tout à fait au-dessus de toutes ces mesquineries, maintenant. Ces derniers jours, je pense que les R. auraient bien voulu avoir notre visite, car les Hartong sont en vacances, et ils sont seuls le soir, mais voilà, nous faisons aussi la sourde oreille, les W. ne sont pas des bouche-trous. Ah ! mamali chérie c’est une qualité bien belle et bien utile que tu m’as apprise : savoir se taire. C’est à toi que je le dois de savoir nager sans ennuis personnels entre tous ces courants, et j’y pense souvent à toutes tes bonnes leçons. Même si je n’écoutais que d’une oreille, quelques fois, à la maison, mais maintenant je ne trouve rien de plus précieux que de me rappeler tous tes bons conseils.
Nous avons enfin reçu une lettre de Coen, il ne nous raconte pas grand’chose étant rempli par les évènements qui se déroulent d’une façon assez précipitées, maintenant à Laren. Vous savez que Bobby ira à l’école en Angleterre après les vacances d’été. Plus je ne peux pas encore vous dire, car papa W. nous a fait promettre le secret, et bien que je ne pense pas que cette promesse est aussi valable vis-à-vis de vous, je ne vais tout de même rien écrire, lui laissant à lui ou à Coen, le soin de tout vous dire. Vous ne m’en voudrez sûrement pas de mon silence. Je vous écris ceci seulement pour que vous e vous étonniez pas du silence de Laren.
Dans un des Sie & Er de Tata, il y avait le modèle d’une blouse que l’on pouvait soi-disant terminer en une heure de temps. Cela a excité ma curiosité et j’ai voulu essayer. Les explications sont données très à la légère, mais après une heure de réflexion, la Näggeli a courageusement coupé la blouse et vraiment elle a bien réussi. C’est un modèle si pratique et si simple à faire, que j’en suis enchantée et  qu’il en naîtra encore bien quelques unes de ces blouses, Je trouve l’idée épatante et je suis tellement reconnaissante à Tata de la persévérance avec laquelle elle me les envoie, ces journaux. J’en ai toujours un plaisir fou. Enfin, vous leur donnerez mes salutations à Max et Tata, comme je n’ai pas la nouvelle adresse, je ne leur écrirai pas encore cette fois-ci.
Haha, Baarto, ce menuisier donc qui marie sa fille, a demandé au vieux R. si lui et nous voulions assister au mariage, ou plutôt à la fête. Le vieux R. n’a pas osé faire autrement que de le demander à Buby, qui, lui, bien qu’il devrait travailler ce soir, a consenti et demandé si R. allait aussi. Le vieux n’a pas trouvé d’excuses pour refuser et maintenant nous irons ensemble ce soir. Je pense que lui viendra seul, elle ne voudra pas venir avec nous. Nous on s’en balance, c’est plutôt par malice que Oscar a accepté.
Je vais terminer maintenant et commencer une autre lettre, demain matin, si j’ai le temps, je vous raconterai en quelques mots les événements !!
J’ai encore oublié de vous accuser réception de votre lettre. Je réponds donc à ta lettre no 44 mamali, datée du 16 juillet 1934. Mes chers, portez-vous bien, aimez-vous les uns les autres et soyez heureux
Votre Ge….
A la main
Mes chers, je n’ai plus le temps ce matin de vous raconter la noce. A la prochaine fois. Ge…



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