vendredi 11 décembre 2015




23 juillet 1934

Keboemen

On a eu un fameux dimanche hier. Vous ne devinerez jamais ce que nous avons fait ! Et bien, une fois pour changer, on a rechangé notre salon. On a poussé des meubles hier toute la matinée. C’est chic, quand j’ai une fois une idée, Oscar est au moins toujours d’accord de l’exécuter. 


Nous allons maintenant faire faire une chaise longue chez un chinois un simple banc avec un matelas que je recouvrirai de quelque chose de moderne, je ne sais pas encore quoi, mais l’idée ne se fera pas attendre longtemps. Ainsi nous avons de nouveau des plans plein la tête et des projets etc. car il ne faut pas que cela revienne cher, naturellement. Je tire déjà affreusement le diable par la queue ce mois, mais nous avons mis de côté un peu plus que la somme habituelle, donc au fond ce n’est pas vraiment dangereux.
Merci infiniment pour votre lettre du 8 juillet, c’est drôle mamali, nous avons écrit les deux à la même date. Tu n’es pas bête toi, aller se mettre ainsi au soleil quand on ne l’est pas habitué et encore sans se graisser un peu la peau, comme tout le monde le fait autour de toi. J’espère bien que cela sera passé maintenant et n’aura pas eu de suite plus fâcheuse.
figaröttli/liseuse
Aujourd’hui il fait gris et froid, comme un jour de pluie au Chalet, il pleut aussi un peu ici. J’ai mis ma robe gamine avec plaisir. Mamali, une fois que tu auras bien le temps, mais ne ris pas trop stpl, tu pourrais bien me refaire… un figaröttli (liseuse), pas seulement pour aller au lit mais un beau petit, pas trop gros pour mettre pendant le jour aussi sur mes robes quand il fait un moment frais. 


Y a pas, mais ils sont diablement commodes, tes figaröttli, et je te promets presque de ne plus me moquer de toi à l’avenir. Tu sais, j’aimerais quelque chose qu’on peut vite mettre et enlever, pratique, sans manche, pour le reste je te laisse faire.
Avant hier soir, donc samedi, nous étions au tennis avec M. V. voilà que je vois une voiture sable arriver, c’était John avec un ami qui revenait de Batavia et passait vite nous dire bonjour. Ils sont restés de 5 – 7 seulement, mais c’était tout de même gentil. Ils vont revenir un de ces weekend avec Jans. Elle ne peut pas quitter facilement la maison, car ils ont 8 chiens maintenant. Ils sont fous. Autrement ils sont toujours les mêmes, gmuetlichi säumore (suisse allemand intraduisible). Son ami est un inspecteur de la sûreté à Solo. Avec John tu es toujours sûre d’avoir de la compagnie, il se fait des relations comme nous autres des trous dans nos chaussettes. Ce qu’il y a d’agréable avec lui, on ne fait jamais de dérangement, il m’amènerait bien l’empereur de Chine, que je ne lèverais pas le petit doigt pour faire quoi que ce soit. Quant ils sont arrivés, j’avais justement encore un cake sur la table avec notre thé, ces deux se sont mis à bouffer du cake, ils le trouvaient bon. Quand j’ai demandé ce qu’ils voulaient pour souper, ils ont répondu, mais non, on a bien bouffé maintenant on n’a plus faim, on va repartir ainsi. Bon, Je les ai laissé aller, ici on n’insiste jamais et chacun dit ce qu’il veut, sans détours et sans compliments. Si je m’entêtais à garder mes idées et principes suisses à ce sujet, j’aurais une vie impossible.
Nos deux chiens nous la rendent déjà assez tragi-comique ! Ils sont tordants des fois, et vous devriez voir Oscar dans ses essais d’éducation ! Oscar vient de me dire au déjeuner que M. Meyeringh va arriver. Je me demande ce qui peut bien l’amener de nouveau, il n’y a pas 15 jours qu’il était ici. J’espère que ce ne seront pas de mauvaises nouvelles.
Ces charrettes de chiens m’ont empêchée de dormir cette après midi. C’est toujours le moment qu’ils choisissent pour faire les fous et jouer mille et un tours, et demander après moi. Une fois que je m’assieds quelque part, ils viennent sous ma chaise et se tiennent tranquilles, mais ils ne veulent pas être sans moi. Il faudra encor les dresser pour cela.
C’est drôle, mais je n’ai vraiment rien à vous raconter cette semaine. Je ne suis pas sortie beaucoup, madame Visser étant refroidie nous ne faisons plus nos promenades du matin et cela me manque. Tout à l’heure, Oscar viendra  faire un tour avec moi. On ne peut presque pas jouer au tennis, il y a trop de vent. Nous avons su convaincre le vieux Röhwer qu’il nous fasse mettre des vitres aux fenêtres du salon, car cela tire trop en cette saison, et nos 4 parois sont percées. C’est ceci notre dernière surprise que nous réserve le climat des Indes, pendant la saison sèche de grands vents et un froid de chien pendant la nuit.
Cette semaine j’ai fini mes raccommodages et me suis faite une robe de chambre, mais elle n’est pas jolie, l’étoffe est trop bon marché et ne tombe pas bien. Tant pis, j’ai au moins toujours appris. Oh ! cela me fait de moins en moins peur de couper et coudre maintenant, même dans des étoffes chères. Peut être que plus tard je demanderai à Hedy de m’en envoyer pour que j’aie de temps en temps quelque chose d’à part un peu. Elle pourra le faire à la fin de la saison d’été, des étoffes qu’elle n’aura pas pu vendre, et au lieu de les garder en stock, elle pourra me les laisser bon marché.
Faaatherli, merci pour ton bout de lettre, cela m’a fait plaisir d’avoir quelque chose de toi de nouveau, bien que les nouvelles n’en soient pas très roses, mais enfin, j’espère de tout coeur que cela s’arrangera et que tu n’aies pas à faire de mauvaises expériences, une fois de plus. Oui, tu m’enverras une photo des poussins à l’occasion. Moi, je change maintenant, je passe doucement aux barbaries (canards), des entoks, comme on les appelle ici. La viande est blanche comme celle du poulet, elle n’a pas ce goût de caneton comme les kakis, mais tant pis, ils deviennent plus vite gros. Depuis que j’ai les chiens les canards ne sortent plus que dans la cour qui n’est pas très grande, et les deux derniers que nous avons mangé avaient beaucoup de graisse et pas trop de viande. Est-ce que cela vient du fait qu’ils n’ont pas assez de mouvement ? Comme nourriture ils reçoivent 2 fois par jour de la bouillie de riz et deux fois quelque chose comme du son de riz, du kedek, dans lequel je fais hacher des épinards, ou de l’herbe, des restes de cuisine je n’en ai presque jamais, je suis ta fille, voyons, chez moi rien ne se perd. Ce qui reste de midi, se mange le soir, mais jamais du réchauffé. Pour cela Oscar est comme maman, il ne peut pas le manger. J’y remédie en imaginant une variété de petits plats, l’art d’accommoder les restes, quoi. Ma baboe est bien dressée pour cela maintenant.
Dites, est-ce que vous pouvez vous imaginer que je ne parle plus jamais français, je le lis et écris seulement, mais tout le temps je barjaque hollandais et malais. Vous devriez m’entendre des fois, surtout quand je suis fâchée avec l’un ou l’autre des gens et que je les marrone, cela va comme un moulin à café. Djongos, saja soedah bilangt tida boleh bikin itoe. (Djongos, je t’ai déjà dit de ne pas faire cela ainsi.) Djongos, makanan soedah klar ? (D. le diner est-il prêt ?) D. bawak tempat oewang sama coeniji dilemari goedang (apporte mon porte monnaie avec la clef du buffet aux provisions) D. ada bodoh (D. tu es bête). – Voilà vous en avez quelques échantillons, vous vous ficheriez à rire si vous m’entendiez. – Djongos, moesti bikin thè, kapan toean poelang (D. tu feras du thé quand monsieur rentrera). Je viens de le dire.

Aujourd’hui j’aurais eu une immense envie de travailler au jardin, comme à Sutz, avec des pantalons, et couper des branches, ratisser des chemins, nettoyer partout comme je le faisais quelques fois à la grande colère de messieurs mes frères qui avaient l’ordre de ramasser la merde comme s’exprimait Loulou en bon français, respectueux. Tu te rappelles encore les colères que tu piquais, Chüggou ?
Diable, oui, vous devez bien savoir conduire maintenant, et moi je pense que j’ai tout oublié. L’ami avec qui John est venu l’autre soir, a acheté une belle Chrysler 1928, ayant roulé 20'000 km avec 4 pneus neufs, moteur parfait, carrosserie en bon état, pour Fl. 150.-- , soit environ Frs. 300.-- . C’est avec cette voiture qu’ils ont été à Batavia, ils m’ont dit de l’évaluer, ainsi qu’Oscar, nous avons dit Fl. 500.--  croyant être bon marché. Oh, quand nous en voudrons une, nous l’aurons vite, mais pour le moment encore rien de fait.
Mon salon ressemble à un vrai taudis en ce moment, je vais vite faire un peu d’ordre avant que Buby arrive. ………à la prochaine fois.
Ge…



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