Linette, Oscar, Nelly, Flock Sutz 8.8.1933 |
8 juillet 1934
Keboemen
Est-il
possible qu’il y ait déjà 11 mois
que je sois mariée ? Je ne peux pas le croire encore, Oscar non plus ne
peut pas le réaliser, il nous semble qu’il y a à peine quelques semaines que
nous ayons quitté l’Europe, et tous nos chers à la maison. Les années passaient
toujours vite pour moi, mais celle-ci bat tous les records, c’est incroyable.
En tous cas, mes chers, si vous avez consenti à un sacrifice dans votre
affection pour moi, en me laissant partir si loin, dites-vous bien que vous ne
l’avez pas fait pour rien, car jusqu’ici mon sentiment de bonheur a toujours
été augmentant, malgré tout ce que j’ai passé en vous quittant tous, j’ai bien
senti la séparation mais ne me suis jamais sentie seule, ni pour mes pensées ni
autrement. Toujours nous avons trouvé l’un dans l’autre le compagnon prêt à
partager toutes nos joies, toutes nos peines, tous nos états d’esprit, toutes
nos sautes d’humeur. J’ai beaucoup appris pendant cette année, mais j’ai le
sentiment de ne pas avoir changé, si ce n’est d’être devenue une année plus
vieille et peut être un peu plus tranquille, je suis « settled »,
quoi. On dit toujours que cette première année de mariage c’est souvent la plus
difficile entre les deux époux, eh bien, je suis contente de pouvoir regarder
en arrière et constater que nous avons su diriger notre barque entre les
écueils, elle n’a pas reçu beaucoup d’atout et c’est avec confiance que nous
nous embarquons pour la deuxième croisière. C’est fou ce que le temps passe,
c’est presque dommage, mais en même temps cela nous rapproche du retour en
Europe, n’est-ce pas?
Nous avons
eu un dimanche tout à fait tranquille. Oscar a été au bureau toute la journée,
et en rentrant il s’est amusé avec les petits chiens. Il est 8 heures moins le
quart maintenant et Oscar est déjà au lit, tellement il est fatigué. La fin du
mois est de nouveau passée, alors il doit rattraper son sommeil perdu. Ce matin
à 9 heures, Nieburg est parti pour Batavia, la fabrique de Rangkasbitoeng, cela
fait que Buby est seul maintenant au bureau et doit remplacer m. Visser quand
celui-ci est en tournée. C’est un poste assez lourd de responsabilité et Buby
doit maintenant s’astreindre à le bien remplir, pour cela il a besoin de tout
son temps pour étudier et aussi se concentrer, car il est le premier qui y soit
arrivé aussi vite, après 2 mois d’apprentissage alors que les autres jeunes
gens ont eu le temps de se mettre au courant pendant plusieurs années souvent.
Enfin j’espère que tout ira bien, et je vais tâcher de lui aider autant que
possible. Mais vous pouvez bien penser que cela ne nous fait pas des amis, cet
avancement rapide ! Oh ! mes chers, je vais arrêter pour ce soir,
j’ai trop mangé. On a eu des rondes (pdt en robe des champs) avec du beurre et
de la salade aux racines rouges et aux concombres. C’était bon, et notre caneton
aussi à midi, et notre riz. Mais je dois avouer une chose, bien que je sois au
pays du riz, je ne l’ai pas encore mangé aussi bon que chez nous à la maison,
Mamali, pour cela tu as le monopole. (Garçons ! vous n’avez qu’à vous
taire, il n’y a jamais eu trop d’oignons !). Ma baboe trouve cela drôle de
cuire le riz avec quelque chose, même avec du sel. Ici c’est le riz cuit à
l’eau pure et passé 2 fois à la vapeur pour le sécher, mais aussi on ne mange
jamais du riz tout seul ici, c’est l’aliment de base pour leurs mille et une
spécialités. Mes chers, maintenant bon soir… et dire que vous venez seulement de digérer votre caneton,
car à Sutz il doit être 1 heure, ou plutôt 13 heures et Faaather qui ronfle
dans le rocking chair, sa baffle bien exposée au public ! J’aimerais aussi
une fois une photo de Faaatherli, c’est pourtant toujours mon vieux
Macaroni ! Voilà bonsoir, ta Ge…,!
Lundi
matin, il est déjà 10 heures, je ne sais pas comme le temps passe. Avec ces
deux petits chiens on perd un temps fou, ils sont si rigolo et veulent toujours
jouer, aussi je ne peux pas souvent résister à aller courir avec eux au jardin.
Cela serait de nouveau quelque chose pour toi, Faaatherli, : - Ne courre
pas, cela a mauvaise façon ! – Hein, mais maintenant je m’en fous, je cours
autant que je peux et saisis chaque occasion, qu’est-ce que tu veux quand on a
des longues jambes. !
Je vous ai
décrit mon dimanche, je vais vous faire ma chronique à rebours cette fois-ci.
Samedi : j’ai été en ville avec madame Visser, acheter des bananes. Elle
doit toujours en avoir de spécialement jolies pour la petite Hanny, alors en
ayant vu vers un petit magasin, nous nous sommes arrêtées et avons appelé
l’homme qui était au fond de la boutique.
Il n’avait mis que son sarong enroulé autour des hanches, le torse
tout nu, alors ayant vu qu’il avait à faire à de la clientèle si chic, il a
voulu être très poli, et avant de venir parler avec nous, il a vite couru
mettre son topi (c’est leur sorte de
turban fait en toile batik comme le sarong), pour un musulman c’est signe de
politesse d’avoir la tête couverte. Moi j’ai attrapé le fou rire de voir ce
gros homme déjà d’un certain âge vite se coiffer de son turban, se trouvant
ainsi très bien habillé pour recevoir sa clientèle, et ne se gênant pas le
moins du monde de son torse nu. Je ne peux pas bien vous décrire la scène, mais
peut être que vous saisirez tout de même le comique que moi j’y ai vu.
sarong et topi |
Buby m’a
réveillée en rentrant du travail. Après une tasse de thé il est retourné au
bureau tandis que moi j’ai été faire un petit tour avec madame Visser et Nicki,
à 7 heures nous avons repris les messieurs au bureau et en rentrant nous avons
trouvé un chinois qui nous
attendait. Il voulait nous vendre des …. chinoiseries.
Nous l’avons laissé déballer son butin, des vases merveilleux et des assiettes
comme papa Woldringh en a à Laren. Nous nous sommes laissés tenter et avons
acquis une immense assiette peinte à la main, déjà vieille, que nous nous
payons à l’occasion de notre anniversaire de mariage. Nous ne pouvons comme que
comme pas aller nulle part, alors il faut bien que nous ayons quelque chose.
Nous allons la pendre dans notre salon et nous en réjouir les yeux.
Jeudi : j’ai vite été en ville le matin, acheter les timbres pour tout le
mois, (j’en ai eu pour Frs. 17.50 !) payer mes impôts et mettre nos
économies à la poste. C’est quelque chose que j’aime toujours bien faire. Nous
les portons ainsi par petites sommes à la poste et quand nous aurons Fl.
100.-- dont nous pouvons disposer,
nous les mettrons à la Mexolie où ils
rapporteront du 41/2 % au lieu du 2 1/2% à la poste. Mercredi : cela a été
le jour des visites. Le matin à 9 heures nous avons eu le Pater van Voorst tot
Voorst, notre connaissance du bateau, qui se rendait à Batavia et voulait nous
saluer entre deux trains. Cela nous a fait plaisir et beaucoup de bien. Il a
déjeuné avec nous et à 11 heures il est reparti. La visite état très courte
mais tout de même très agréable.
Au dîner,
par hasard, j’ai parlé de M. Meyeringh,
alors Oscar s’est subitement rappelé que ce dernier lui avait dit qu’il
viendrait prendre une tasse de thé à 5 heures. J’ai vite fait faire des
sandwichs au foie gras. J’ai maintenant dressé ma baboe pour les faire et les
arranger joliment sur le plat, de sorte que je n’ai plus à m’en occuper, et
peux tranquillement recevoir mes visites. Il est resté jusqu’à 7 heures.
Mardi : passé le matin à blaguer chez madame V. et à m’occuper des petits
chiens. Lundi : visite des Engelhart, ce que je vous ai déjà raconté dans
ma précédente, je crois. A présent mes deux chiens sont assis ou plutôt couchés
sous ma table à écrire, ils sont drôles, ils me suivent à chaque pas et veulent
toujours être près de moi ou près de Buby quand il est à la maison. Nous les
avons baptisés … Tip-Top, Tipsy c’est la petite femme, et Topsy le mâle. Vous
en aurez des photos. La femelle nous embête un peu, mais on ne pouvait pas
refuser de la prendre, tant pis.
Mes chers,
ma salade croît bien, je l’ai fait transplanter hier soir, j’espère qu’elle
donnera de belles têtes. J’ai reçu une longue lettre de M. Mottet (comptable de la
fabrique familiale) cette semaine. Aussi une lettre de l’amie de madame
Ziegler-Ryser, qui m’a écrit et invitée. Elle se trouve maintenant à Bandoeng où son mari a ouvert un sanatorium, Solsana, elle m’a en même
temps envoyé un prospectus !!! Je vais naturellement lui répondre, mais à
en juger la lettre je ne crois pas que nos relations seront très suivies. Mes
chers, je vous quitte, addio, un muntschi à chacun.
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