11 juin 1934
Keboemen
Merci de
tout cœur pour votre bon courrier. Tatali, j’ai eu un plaisir immense à ton
paquet de journaux. Il est arrivé absolument intact et les cartes postales me
donnent un plaisir fou, elles sont simplement merveilleuses. En recevant le
paquet, Oscar m’a chipé les journaux et moi j’ai sauté sur les Jardin des Modes. Eh ! ce que je
suis contente de les avoir surtout ces no. d’été qui contiennent tant d’idées
pour de petites robes faites pour ici. Ensuite quand nous avons passé tout
notre temps à tout regarder et tout lire, le soir seulement, j’ai joui de mes
cartes, je les ai bues et j’ai passé des moments de joie profonde. Mille et
mille fois merci. Ta lettre du 24 avril m’est aussi parvenue et j’y répondrai
par prochain courrier. J’ai été tellement gâtée cette semaine !
chauffeur Marchand |
J’ai aussi
reçu une lettre du chauffeur Marchand
(Louis), écrite à la maison du
soldat, une de Charlot avec celle de la maison et une de Coen avec celle de
papa Woldringh. Chüggou (Louis), je
t’ai écrit une carte la semaine passée à la caserne de Thoune, je me demande si
tu la recevras. Peut être que je n’arriverai pas à écrire à mes petits frères
séparément, parce que j’ai perdu toute la matinée à pondre une lettre
diplomatique à madame Raball pour refuser sa demande de marrainage. Il ne me
manquerait plus que cela !
Hier
dimanche, je ne suis pas arrivée à écrire beaucoup. Nous avons fait un pic-nic
sous les grands arbres du petit parc. Samedi soir, en revenant du tennis on a
décidé cela, Mme V. et moi, et le dimanche matin nos kebon ont dû fixer les
grands parasols de jardin autour de la table à ping-pong et en fin de compte
nous nous sommes tous retrouvés là à jouer aux cartes, au ping-pong, à boire et
rire. A midi nos djongos ont apporté des rijsttafel
et du bami et c’était excellent.
Buby qui sans cela se fait toujours prier pour manger a bouffé comme un ogre,
par deux fois une immense assiette à soupe pleine jusqu’aux bords de riz et de
tous les plats accompagnant, ensuite encore une assiette de bami (les nouilles
chinoises) et trois coupes d’ice cream, le tout arrosé de différentes verres de
bière.
Picnic |
Vraiment je ne sais pas où il a mis tout cela, et un moment j’ai eu
honte, c’était comme s’il n’avait rien eu à manger pendant dix jours au moins.
Et avec cela il demandait justement toujours des morceaux de la rijsttafel aux Röhwer, sans savoir que
c’était moi qui allait à la table pour le service, mais tout de même cela m’a
mis dans une rage ! Nous en avons bien ri après, c’est la Ricshaw qui
devait jubiler ! Mais Buby est comme un gosse, quand John et Jans sont ici
il me joue aussi des tours pareils, il bouffe plus que nous tous ensemble et
quand nous sommes seuls j’entends régulièrement tous les jours quand nous nous
mettons à table : je n’ai pas faim ! – Enfin quand on a bien eu
bouffé à 2 ½ heures on s’est séparé pour aller dormir, à 5 heure on voulait se
retrouver pour jouer au tennis, mais personne ne s’est montré, on n’avait pas
encore digéré ! Le soir on a tranquilement bu notre thé et deux tartines
au jardin, tout en lisant et écrivant.
Samedi
matin, Mme V. est venue vers moi un peu, Mme R. était allée à Djocja avec Mme
Hartong. Elles sont grandes amies pour le moment, ce qui explique que Mme
Hartong nous bat froid ! Avec Mme V. on est restée au jardin à coudre et à
bavarder, vers midi c’est monsieur qui s’est amené pour een potje bier (un verre de
bière) ! On a fait chercher Buby au bureau et une fois de plus on a
blagué gaiment jusqu’à une heure. Le soir après le tennis, comme j’ai raconté
qu’on avait des croûtes au fromage pour souper, Mme V. en voulait aussi et
comme elle n’avait pas de fromage à la maison, on a tous été en auto chez toko Batie (l’échoppe de Batie). Là on a fait les fous, on a marchandé à tort
et à travers, enfin, comme quand on allait en bande chez la Stalder muetti (le magasin de Sutz).
Vendredi
j’ai cousu toute la journée, et joué au tennis le soir avec Buby. Jeudi dito.
Mercredi dito. Mardi matin, après le départ des lettres j’ai donc été en ville
payer mes impôts, acheter des timbres etc. Lundi passé j’ai été à Gombong avec
ces dames, je crois que je vous l’ai écrit. Je me suis donc fait une jupe en
drill, elle est râtée, et je passerai cette semaine ci à essayer de la refaire,
c’est ennuyeux. Il y a 5 jours j’ai semé un petit paquet de zinnias, et bien,
les petites plantes ont déjà 5 cm de haut, c’est fou ce qu’elles poussent vite.
Ainsi j’en aurai un joli groupe.
J’ai donc
bien reçu ta lettre du 14 mai, mamali, non pardon, du 28 mai, lettre no 37.
J’ai appris avec plaisir que les Biennois ont réussi quelque chose de bien avec
leur fête cantonale de chant. Je suis contente que toi aussi tu aies eu
tellement de plaisir à regarder tout ce va-et-vient. N’avez-vous pas fait de
photos ?
Je me
réjouis de recevoir ces moulures de Hedy, naturellement j’accuserai réception
tout de suite.
Tout ce
que tu me racontes sur la Gretula ! Hahahaha ! Ne sais-tu pas si le
ménage de la Meiti Girardin va mieux maintenant qu’elle a un gosse ? Non,
cela n’est rien non plus d’être
ainsi partagée entre son mari et ses parents, cela forme deux moitiés qui ne
donneront jamais un entier. Bien que j’aimerais quelquefois bien vous voir et
vous embrasser et passer quelques bons moments avec vous tous, je ne voudrais
tout de même pas être mariée à Bienne. Je préfère être ici aux Indes même à ce
prix là. J’ai été votre fille, votre sœur pendant 25 ans, et maintenant je suis
la femme à Buby et je suis
contente de pouvoir l’être sans partage et surtout sans influence même bonne.
Ainsi nous sommes nous deux l’un vis-à-vis de l’autre, libres et entièrement
nous-mêmes et c’est à nous de faire notre bonheur mutuel, il dépend de nous
entièrement. Naturellement ce ne serait pas la même chose si je m’étais mariée
à 20 ans, comme cette petite bécasse. Ah ! non, je ne changerais pas
facilement avec une autre, malgré ma séparation d’avec vous tous. Il vaut encore
mieux être séparés et s’aimer ainsi en paix que d’être ensemble et d’avoir des
frottements. Je crois que ces quelques années passées ainsi, les deux
absolument comptant que l’un sur l’autre poseront le fondement de notre ménage
sur une base solide qui pourra résister à bien des secousses, si pas à toutes.
Si j’avais les moyens d’être une grande philanthrope, j’enverrais tous les
jeunes ménages une année à Keboemen ou dans un trou quelconque de Java ou
Sumatra pour leur donner l’occasion de vraiment fonder une nouvelle famille et
pas seulement continuer celle du mari ou celle de la fille, quitte à pouvoir se
réunir après en bons amis et parents. En lisant tout cela il ne faut pas penser
que je ne vous aime plus par exemple, ah ! diable non, c’est plutôt le
contraire, et les moments de l’ennui qui m’assaillent quelques fois, sont ceux
pendant lesquels je me sens attirée à de nouveau à n’être que la Bürzi, girlie
Ge…, my Schwoscht et la nouillonne de sœur. Mais comme je vous l’ai déjà dit,
la meisje (ici =petite amie) de Buby prend
toujours le dessus en fin de compte, il a quand même toujours la victoire, ma petite canaille.
Notre
dernier sport à nous deux c’est la graphologie,
Oscar est déjà très avancé à lire dans les écritures et moi je commence sous sa
direction. Gare, on va lire tous vos caractères bientôt, comme Dr. Brand sur le
bateau. C’est excessivement intéressant et surtout pour Oscar ce sera très
utile. On a fait venir des livres, et ce mois j’ai une note de Fl. 30.-- à
payer pour du matériel de correspondance, de dessin et quelques livres, 2
seulement. Tant pis, il faut aussi qu’on ait quelque chose. Nous ne sortons
plus du tout en visite depuis que la Ricshaw est allée nous décrier. Je me
demande ce qu’elle a inventé pour que les gens nous battent froid. Mais
attendez seulement, elle se cassera le nez, « die schwarzi more die »
(cette truie noire !). Je ne
m’énerve pas.
A la main
Mes chers,
je ne vous ai pas gâtés cette fois parce que j’ai écrit une longue lettre à
papa W. Je vais tâcher de vous dédommager par une photo, seulement je ne sais
plus ce que vous avez déjà reçu. Mes bons baisers à chacun. Soyez heureux et
restez en bonne santé. Muntschi de votre Ge….
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire