mercredi 4 novembre 2015






11 juin 1934

Keboemen

Merci de tout cœur pour votre bon courrier. Tatali, j’ai eu un plaisir immense à ton paquet de journaux. Il est arrivé absolument intact et les cartes postales me donnent un plaisir fou, elles sont simplement merveilleuses. En recevant le paquet, Oscar m’a chipé les journaux et moi j’ai sauté sur les Jardin des Modes. Eh ! ce que je suis contente de les avoir surtout ces no. d’été qui contiennent tant d’idées pour de petites robes faites pour ici. Ensuite quand nous avons passé tout notre temps à tout regarder et tout lire, le soir seulement, j’ai joui de mes cartes, je les ai bues et j’ai passé des moments de joie profonde. Mille et mille fois merci. Ta lettre du 24 avril m’est aussi parvenue et j’y répondrai par prochain courrier. J’ai été tellement gâtée cette semaine ! 
chauffeur Marchand

J’ai aussi reçu une lettre du chauffeur Marchand (Louis), écrite à la maison du soldat, une de Charlot avec celle de la maison et une de Coen avec celle de papa Woldringh. Chüggou (Louis), je t’ai écrit une carte la semaine passée à la caserne de Thoune, je me demande si tu la recevras. Peut être que je n’arriverai pas à écrire à mes petits frères séparément, parce que j’ai perdu toute la matinée à pondre une lettre diplomatique à madame Raball pour refuser sa demande de marrainage. Il ne me manquerait plus que cela !
Hier dimanche, je ne suis pas arrivée à écrire beaucoup. Nous avons fait un pic-nic sous les grands arbres du petit parc. Samedi soir, en revenant du tennis on a décidé cela, Mme V. et moi, et le dimanche matin nos kebon ont dû fixer les grands parasols de jardin autour de la table à ping-pong et en fin de compte nous nous sommes tous retrouvés là à jouer aux cartes, au ping-pong, à boire et rire. A midi nos djongos ont apporté des rijsttafel et du bami et c’était excellent. Buby qui sans cela se fait toujours prier pour manger a bouffé comme un ogre, par deux fois une immense assiette à soupe pleine jusqu’aux bords de riz et de tous les plats accompagnant, ensuite encore une assiette de bami (les nouilles chinoises) et trois coupes d’ice cream, le tout arrosé de différentes verres de bière.
Picnic

 Vraiment je ne sais pas où il a mis tout cela, et un moment j’ai eu honte, c’était comme s’il n’avait rien eu à manger pendant dix jours au moins. Et avec cela il demandait justement toujours des morceaux de la rijsttafel aux Röhwer, sans savoir que c’était moi qui allait à la table pour le service, mais tout de même cela m’a mis dans une rage ! Nous en avons bien ri après, c’est la Ricshaw qui devait jubiler ! Mais Buby est comme un gosse, quand John et Jans sont ici il me joue aussi des tours pareils, il bouffe plus que nous tous ensemble et quand nous sommes seuls j’entends régulièrement tous les jours quand nous nous mettons à table : je n’ai pas faim ! – Enfin quand on a bien eu bouffé à 2 ½ heures on s’est séparé pour aller dormir, à 5 heure on voulait se retrouver pour jouer au tennis, mais personne ne s’est montré, on n’avait pas encore digéré ! Le soir on a tranquilement bu notre thé et deux tartines au jardin, tout en lisant et écrivant.
Samedi matin, Mme V. est venue vers moi un peu, Mme R. était allée à Djocja avec Mme Hartong. Elles sont grandes amies pour le moment, ce qui explique que Mme Hartong nous bat froid ! Avec Mme V. on est restée au jardin à coudre et à bavarder, vers midi c’est monsieur qui s’est amené pour een potje bier (un verre de bière) ! On a fait chercher Buby au bureau et une fois de plus on a blagué gaiment jusqu’à une heure. Le soir après le tennis, comme j’ai raconté qu’on avait des croûtes au fromage pour souper, Mme V. en voulait aussi et comme elle n’avait pas de fromage à la maison, on a tous été en auto chez toko Batie (l’échoppe de Batie). Là on a fait les fous, on a marchandé à tort et à travers, enfin, comme quand on allait en bande chez la Stalder muetti (le magasin de Sutz).
Vendredi j’ai cousu toute la journée, et joué au tennis le soir avec Buby. Jeudi dito. Mercredi dito. Mardi matin, après le départ des lettres j’ai donc été en ville payer mes impôts, acheter des timbres etc. Lundi passé j’ai été à Gombong avec ces dames, je crois que je vous l’ai écrit. Je me suis donc fait une jupe en drill, elle est râtée, et je passerai cette semaine ci à essayer de la refaire, c’est ennuyeux. Il y a 5 jours j’ai semé un petit paquet de zinnias, et bien, les petites plantes ont déjà 5 cm de haut, c’est fou ce qu’elles poussent vite. Ainsi j’en aurai un joli groupe.
J’ai donc bien reçu ta lettre du 14 mai, mamali, non pardon, du 28 mai, lettre no 37. J’ai appris avec plaisir que les Biennois ont réussi quelque chose de bien avec leur fête cantonale de chant. Je suis contente que toi aussi tu aies eu tellement de plaisir à regarder tout ce va-et-vient. N’avez-vous pas fait de photos ?
Je me réjouis de recevoir ces moulures de Hedy, naturellement j’accuserai réception tout de suite.
Tout ce que tu me racontes sur la Gretula ! Hahahaha ! Ne sais-tu pas si le ménage de la Meiti Girardin va mieux maintenant qu’elle a un gosse ? Non, cela n’est rien non plus  d’être ainsi partagée entre son mari et ses parents, cela forme deux moitiés qui ne donneront jamais un entier. Bien que j’aimerais quelquefois bien vous voir et vous embrasser et passer quelques bons moments avec vous tous, je ne voudrais tout de même pas être mariée à Bienne. Je préfère être ici aux Indes même à ce prix là. J’ai été votre fille, votre sœur pendant 25 ans, et maintenant je suis la femme à Buby et  je suis contente de pouvoir l’être sans partage et surtout sans influence même bonne. Ainsi nous sommes nous deux l’un vis-à-vis de l’autre, libres et entièrement nous-mêmes et c’est à nous de faire notre bonheur mutuel, il dépend de nous entièrement. Naturellement ce ne serait pas la même chose si je m’étais mariée à 20 ans, comme cette petite bécasse. Ah ! non, je ne changerais pas facilement avec une autre, malgré ma séparation d’avec vous tous. Il vaut encore mieux être séparés et s’aimer ainsi en paix que d’être ensemble et d’avoir des frottements. Je crois que ces quelques années passées ainsi, les deux absolument comptant que l’un sur l’autre poseront le fondement de notre ménage sur une base solide qui pourra résister à bien des secousses, si pas à toutes. Si j’avais les moyens d’être une grande philanthrope, j’enverrais tous les jeunes ménages une année à Keboemen ou dans un trou quelconque de Java ou Sumatra pour leur donner l’occasion de vraiment fonder une nouvelle famille et pas seulement continuer celle du mari ou celle de la fille, quitte à pouvoir se réunir après en bons amis et parents. En lisant tout cela il ne faut pas penser que je ne vous aime plus par exemple, ah ! diable non, c’est plutôt le contraire, et les moments de l’ennui qui m’assaillent quelques fois, sont ceux pendant lesquels je me sens attirée à de nouveau à n’être que la Bürzi, girlie Ge…, my Schwoscht et la nouillonne de sœur. Mais comme je vous l’ai déjà dit, la meisje (ici =petite amie) de Buby prend toujours le dessus en fin de compte, il a quand même toujours la victoire, ma petite canaille.
Notre dernier sport à nous deux c’est la graphologie, Oscar est déjà très avancé à lire dans les écritures et moi je commence sous sa direction. Gare, on va lire tous vos caractères bientôt, comme Dr. Brand sur le bateau. C’est excessivement intéressant et surtout pour Oscar ce sera très utile. On a fait venir des livres, et ce mois j’ai une note de Fl. 30.-- à payer pour du matériel de correspondance, de dessin et quelques livres, 2 seulement. Tant pis, il faut aussi qu’on ait quelque chose. Nous ne sortons plus du tout en visite depuis que la Ricshaw est allée nous décrier. Je me demande ce qu’elle a inventé pour que les gens nous battent froid. Mais attendez seulement, elle se cassera le nez, « die schwarzi more die » (cette truie noire !). Je ne m’énerve pas.
A la main
Mes chers, je ne vous ai pas gâtés cette fois parce que j’ai écrit une longue lettre à papa W. Je vais tâcher de vous dédommager par une photo, seulement je ne sais plus ce que vous avez déjà reçu. Mes bons baisers à chacun. Soyez heureux et restez en bonne santé. Muntschi de votre Ge….


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