25 juin 1934
Keboemen
Cette
lettre-ci sera extra courte parce que mercredi c’est la fête à la petite Nicki
et je dois encore faire son cadeau. J’ai attendu jusqu’à la dernière minute, ne
sachant pas que lui donner. C’est une enfant qui a tout, absolument tout. Pour
son anniversaire, sa maman lui fait cadeau d’un petit poney avec une petite
voiture qu’elle a fait faire. Moi, je me suis offerte à fournir les coussins
que je pensais faire en belle cretonne fleurie, mais ce n’était pas du goût de
la maman. Je crois qu’elle aimerait bien les avoir en cuir, mais ohä, la
Näggeli ne va pas si loin. Maintenant je les fais en natte, les mêmes que mon
petit banc au salon, et je les brode avec de la laine en couleur gaies, et
flûte, je m’en fous si c’est de leur goût ou pas. Je suis persuadée maintenant
que nous ne nous entendrons jamais en matière de goût et de couleurs, ces deux
dames et moi. Je suis si différente en ces choses-là, trop moderne pour elles.
Enfin, je m’accorde avec Buby en cela, et c’est le principal. Autrement Mme
Visser est toujours la même avec moi, très gentille et toujours prête à
m’aider. Je crois qu’ils nous aiment beaucoup, mais voilà on est bien trop
différents pour que cela ne devienne jamais très solide. Enfin, cela va bien
ainsi.
Voyons
vite ma chronique. Mardi – rien de spécial, nous avons joué au tennis, j’ai été
chez madame Visser le matin, j’ai acheté des pommes, des citrons pour faire du
sirop. Jeudi matin j’ai été en ville faire les magasins acheter des pattes pour
faire des robes de poupée pour Nicki. J’ai aussi acheté de l’étoffe pour une
petite robe. Cela paraît être un tootzisha, mais pas d’aussi bonne qualité, cela
coûte Fl. 0.40 l’aune (ancienne mesure),
c’est donc environ 70 cm. L’après midi j’ai dormi et le soir à 6 ½ heures, nous
avons pris le train pour Premboen, avec madame Hartong et… le Ricshaw. M.
Hartong avait été en auto déjà dans l’après midi, car ces soirées de tennis
correspondent à des rapports bi-mensuels qu’il doit faire à M. Engelhart,
concernant la fabrique de sucre (canne à sucre) de Keboemen. La soirée a
été très gentille. Je me suis bien amusée, et Buby a beaucoup joué au tennis,
moi pas trop, j’ai plutôt fait en sorte de me trouver souvent avec madame Engelhart pour mieux lier
connaissance et effacer tout le mal qu’elle doit avoir entendu de moi. Je crois
que j’ai réussi, je l’ai regardée si gentiment, tu sais bien comment !
Enfin cette fois-ci c’est la Ricshaw qui en a eu pour son rhume. J’ai
l’impression que nous avons de nouveau pris pied et cela me fait plaisir, car
bien que les gens ne me disent pas grand’chose et à Buby non plus, il faut
pourtant garder un certain contact, absolument, même si ce n‘est que pour faire
une petite répétition de savoir-vivre de temps en temps, et pour ne pas perdre
l’habitude de se mouvoir en société, dans le monde, quoi !
Vendredi j’ai
cousu toute la journée, j’ai été au jardin, j’ai fait planter des zinnias que
j’avais semés. La journée a passé je ne sais pas comment, à bricoler par ci et
par là. Samedi - aussi, j’ai écrit un peu, j’ai cousu et à midi Buby est
rentré et s’est mis au lit, avec
un peu de température. Naturellement que mon après-midi a été fichue, vous
comprenez, j’ai dû « chouchouter ». Dimanche le matin j’ai vite été
en ville chez le coiffeur. Vous
avais-je écrit qu’il vient un coiffeur ici chaque dernier dimanche du mois.
Cette fois j’ai été seule, les autres dames n’étant pas encore arrivées, alors
je lui ai bien dit comment je voulais avoir la coupe. Il s’est donné de la
peine et m’a bien coupé. Je n’ai pas manqué de lui faire sentir que s’il me
servait bien, il pourrait compter sur moi comme cliente régulière.
Aujourd’hui,
lundi, Buby a été au bureau, mais il est revenu avec des frissons, pourtant il
n’avait plus de fièvre. Le matin j’avais été promener avec Mme V. En rentrant je n’ai pas mis Buby au lit
vu qu’il n’avait pas de fièvre, mais il est resté étendu sur une chaise-longue,
pendant que moi j’écrivais et travaillais à ces coussins pour Nicki. A 11
heures j‘ai vite été chez Mme V. et elle a réussi à me persuader qu’il fallait
faire venir le médecin. Elle a donc téléphoné, et une demi heure après un assistant
arrive pour prendre du sang. Le dr. voulait d’abord l’analyser avant de venir.
A trois heures un autre assistant vient encore une fois pour une deuxième prise,
et enfin à 5 ½ heures le docteur arrive. Il a été un peu étonné de voir Oscar
debout mais on lui a expliqué l’affaire, que les Visser m’avaient fait peur
etc. Il a dit qu’il n’avait rien trouvé dans la première preuve, c’est pourquoi
il avait fait prendre une seconde dans laquelle il n’a rien trouvé non plus. Il
a ausculté Oscar, rien trouvé sur les poumons et a diagnostiqué un fort
refroidissement. Il a dit que maintenant était la saison dangereuse, à cause
des vents qu’on avait, alors on transpire et il arrive un de ces vents frais,
et zut, le rhume est là. Il faut être très prudent, c’est le seul remède.
Demain, le kebon m’apporte du miel qu’il aura été cueillir ce soir dans les
ruches d’un de ses voisins, et j’en ferai prendre à Buby dans du lait chaud. Je
suis contente d’avoir trouvé du miel,
faudra voir demain comment il est. Toko Batie vend bien du miel ici, mais je
crois qu’il s’y trouve pus d’eau sucrée que de miel, c’est pour cela que je
n’ai jamais pu me résoudre d’en acheter. Enfin je suis contente que Buby n’ait
rien de plus. Quand j’aurai fini d’écrire ici je vais vite retourner à ma
broderie pour Nicki.
Figurez-vous
que nous avons reçu une lettre de Ir et Bernard, ils sont à Koeta Radja, près
de Sabang (Sumatra), donc tout à la pointe la plus proche de l’Europe. C’est
une longue lettre presque désespérée qu’ils nous ont écrite. Cela ne leur plaît
pas du tout, et pourtant c’est une ville de garnison, au moins 3 fois plus
grande que Keboemen, avec beaucoup de soldats et d’officiers. Ils sont très
déçus des Indes, ils ne trouvent pas la nature jolie, ils ne peuvent rien
acheter et ils demeurent à l’hôtel pour le moment. Zut, ces deux, ils ne
prennent pas l’aventure du bon côté, mais aussi ils sont stupides. Je leur ai
écrit une longue lettre pour leur remonter le moral, Oscar a aussi encore
écrit, et maintenant on verra. Ces deux, après la belle vie qu’ils ont eue en
Hollande, tous les plaisirs qu’ils se sont payés, maintenant c’est dur, de se
faire à la vie sérieuse. Moi cela m’embête un peu qu’ils soient aussi loin,
c’est à une semaine de voyage d’ici, donc on ne pourra pas se voir souvent,
mais d’un autre côté c’est peut être tout aussi bien, s’ils continuent à se
montrer aussi bornés que cela.
J’allais
presque oublier le principal. J’ai reçu samedi soir les deux échantillons sans
valeur avec les moulures. Les robes me plaisent bien et je me réjouis de les
commencer. Merci, merci, mille fois Je vais directement commencer avec cette
étoffe que je viens d’acheter et qui n’est pas trop chère pour un essai, quand
j’aurai bien réussi, je referai ces mêmes toilettes dans du beau tissu, pour de
vraies petites toilettes. Je me réjouis.
Sans cela,
je ne vois rien de nouveau pour cette fois, peut être demain matin encore vite.
Maintenant bon soir mes chéris.
Merci de
votre lettre du 12 juin, No 39. J’y répondrai plus spécialement dans ma
prochaine, je n’ai pas le temps maintenant.
Dimanche
soir j’ai fait aller mes marches militaires et j’ai dansé avec la photo de mon
piou-piou !
Toujours
votre….
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire