Tjilatjap
13 juin 1938
A sa maman
Il est 9
heures du matin, je viens de bien déjeuner, une grande assiette de porridge, et
maintenant je suis prête pour une bonne chnätschete (papotte) avec ma Rötteli. Il y a si longtemps que je t’ai laissée
sans nouvelles.
Premièrement
mille et mille fois merci pour le merveilleux Jäckli. Je l’ai reçu il y a deux
jours et il me va très très bien. Il est ravissant, Oscar aussi le trouve si
joli. Merci aussi beaucoup pour ce
joli noeud, justement j’ai mis une robe en crêpe georgette bleu marine sur
laquelle ce nœud ira d’une manière épatante. J’aime bien ces petites choses là,
jolies et élégantes, qui peuvent donner un cachet d’élégance aux robes simples
que je fais. J’ai cherché un de ces papillons, mais ici on ne les a pas encore.
Tu aurais dû te l’acheter à Nauheim. Si je le fais faire ici, cela n’aura pas
le même chic.
Je sais
très bien ce que tu entends, j’ai vu cela dans le Jardin des Modes et d’autres journaux de mode français.
J’ai tant
de choses à te raconter, à te confier, que je ne sais pas par où commencer. Je
vais me mettre à répondre à tes lettres d’abord.
La 185
J’espère
qu’à la fin du compte tu as reçu toutes mes lettres adressées à Nauheim. Je puis si bien me représenter ton retour à la
maison et la fête que cela devait être pour tes hommes. J’ai eu la même chose
en rentrant de Bandoeng, il y a 15 jours. Buby était venu à ma rencontre avec
l’auto, un Buby qui ne se sentait plus de plaisir. Je crois que la séparation
lui a fait plus qu’à moi, en tous cas il ne savait plus comment me faire
plaisir. Toute la maison était pleine de fleurs, entre autre une immense corbeille
de glaïeuls roses.
Je suis
contente que la cure t’aie bien réussi et j’espère que tu en sentiras les
conséquences de la manière la plus parfaite possible. Mais voilà bien la
Rötteli, qui va dépenser de l’argent et du temps pour une bonne cure, et sitôt
à la maison, elle se fiche une bosse de tout ce qui lui a été défendu, jusqu’à
en devenir malade. Rötteli, Rötteli, tu ne deviendras donc jamais
prudente ? Enfin, je te comprends aussi, va. Je me réjouis de recevoir le
Reisebericht (rapport de voyage)…
J’ai bien ri de toutes les aventures et intrigues qui se passaient à l’hôtel.
Merci
aussi de la lettre de tante Nelly (Bulgarie). Je pense
que Loulou n’y a pas été assez longtemps
pour voir comment ils vivaient, probablement qu’il n’est pas encore assez
malin pour voir des choses qu’on ne lui montre pas. Cela m’aurait tout de même
intéressée d’en savoir plus long.
A Bandoeng
j’ai trouvé une belle étoffe de laine, très mince, de la même couleur que la
blouse de laine bleue, une teinte plus foncée et je suis en train de me faire
une belle jupe. Avec cette jupe, je me ferai aussi une blouse en organdi blanc
puisque c’est tellement à la mode. C’est bien pour cela que je suis si contente
d’être restée à la maison, j’ai tant de choses à faire pour renouveler ma garde
robe, et maintenant je pourrai le faire à mon aise.
Quant aux
Marchand-Dean (l’oncle René de Londres), c’est
vraiment du bluff et moi aussi je suis bien contente que tu n’aies pas eu à te
fâcher de leur visite une fois de plus. Comme toi, j’ai aussi pensé à Pâques à
nos vacances de Lugano, et j’y pense encore souvent. Ah, comme on a raison de
profiter tout ce qu’on peut dans la vie. Au moins ces souvenirs-là personne ne
peut nous les prendre.
Lettre 186
C’est
terrible cette sécheresse en Suisse, comme je regrette que les paysans doivent
subir cela.
Tu m’écris
dans cette lettre que tu crois que je suis Europa-ryf (mûre pour l’Europe), est-ce que tu aimerais beaucoup, beaucoup que
je vienne ? Vois-tu c’est comme cela. Maintenant que Oscar est
administrateur, il ne peut pas quitter si vite, cela ira encore bien une année
au minimum. Enfin, je ne peux pas donner de date, j’aime mieux pas, car je ne
sais rien à ce sujet. Ma santé maintenant ira tout de suite mieux, parce
qu’enfin je sais où est le mal et je sais comment le combattre.
Jusqu’à
présent, les médecins m’ont toujours ordonné des régimes, mais ce n’était
jamais tout à fait bien. Maintenant qu’on sait qu’il s’agit du foie, j’ai aussi
un régime approprié, qui n’est pas
trop sévère. Ce qui m’est défendu, c’est la viande de porc, l’alcool, le
café, pas trop de graisse ni d’albumine. Je dois n’employer que du beurre pour
cuire, plus d’huile (de palme ?)
etc. Le docteur ici m’a établi un régime avec menus que je dois suivre un
certain temps. Tous les matins une grande assiette de bouillie pour déjeuner,
soit porridge, ou semoule de riz ou maïzena, mélangé à deux jaunes d’œufs. A
midi viande blanche, pommes de terre ou riz, légumes et fruits. Le soir des
schnitteli (tartines) ou n’importe
quoi de ce genre. Une certaine quantité de lait par jour, mais pas de crème. Je
prends aussi de l’ovomaltine dans
mon lait, et vers 11 heures du matin quand j’ai faim, je prends une tasse de
bouillon avec encore 2 jaunes d’œufs battus dedans. Je ne mange presque jamais
de conserves. Tous les 5 jours j’ai un immense panier de légumes frais depuis
Bandoeng. Tu vois que nous vivons sainement et que tu n’as pas besoin de t’en
faire. Le docteur veut que je devienne un peu plus grasse, mais autrement j’ai
bonne mine, et mes intestins se portent aussi beaucoup mieux. J’ai encore à
prendre des pillules pour me nettoyer le foie, c’est tout.
Par contre
une chose que j’aimerais te demander de faire pour moi, c’est de chercher en
Suisse un petit corset, c’est à
dire une ceinture lavable que je puisse porter tous les jours.
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une gaine |
En m’auscultant,
le docteur à Bandoeng a remarqué que j’avais tous mes organes trop bas,
l’estomac, les reins, tout est au moins 5 cm trop bas. Il dit que cela peut
provenir de ce que j’ai grandi trop vite. Il dit que ce ‘est rien de dangereux,
beaucoup de femmes ont cela et cela ne gêne à rien, seulement qu’il faudrait
que je porte toujours quelque chose autour du ventre pour soutenir un peu. Tu
sais qu’ici je me suis habituée à ne rien porter du tout. En Suisse j’avais
toujours un petit corset pour mes bas, mais ici comme je n’en porte pas, je me
suis aussi passée de porter un corset et ce n’est pas bon. Maintenant je sais
que Mily a acheté à Soleure, une ceinture, un step-in (une gaine) comme on les nomme en Amérique, qu’elle peut porter
sans bas. C’est une ceinture qui a deux élastiques dans lesquels on enfile les
jambes, ainsi elle ne peut pas glisser vers le haut. Ils doivent aussi avoir
cela chez Tanner, seulement ce qu’il me faudrait, c’est quelque chose que je
puisse laver souvent, au moins tous les deux ou trois jours. Il y aura peut
être autre chose qui soit bien, informe-toi, peut être dans un magasin
sanitaire ou chez la Descoeudres ? Tu sais, il ne me faut pas une ceinture
comme toi tu en portes et que tu achètes à Paris, non, cela serait trop. Pour
moi il faut une simple petite ceinture moderne, un peu élastique, sans baleines
et pour porter sans bas. Demande à Hedy ou à une autre jeune fille qui porte la
mode, elles pourront peut être te renseigner sur ce genre de corselets. Et
n’oublie pas de me faire savoir les prix.
Tu me dis
de ne plus employer de steel hairbrush, mais je t’assure que c’est avec cette
brosse-là que j’ai encore les plus beaux résultats. Oh, la Näggeli se soigne,
t’en fais pas ! Et tu devrais voir mes cheveux, ils sont jolis. J’ai
maintenant aussi une nouvelle coiffure, tu sais ces rouleaux le long de la
tête. Elle me va très bien, tout le monde m’en fait le compliment. Et le
coiffeur m’a aussi dit que ce serait dommage de me faire faire une permanente,
vraiment mes cheveux tiennent bien ainsi. J’ai aussi acheté un crayon pour
noircir mes cheveux gris aux tempes, et cela réussit très bien. Oh, tu sais, ta
Ge… ne se laisse pas aller.
Inclus la procuration légalisée, par les
autorités hollandaises d’ici, on m’a dit que ce n’était pas au Consul (suisse) à faire cela. J’espère que ce sera en ordre. Je trouve que
vous pourriez mieux me tenir au courant de tout ce que vous faites au Chalet.
Il paraît que vous avez abattus beaucoup d’arbres, entre autre les beaux sapins du talus etc. Pourquoi ne m’en dites-vous jamais
rien ? Un des garçons pourrait bien faire des photos du Chalet une
fois. Notre beau Chalet, je l’aime toujours bien, et puis je ne sais pas encore
quand je le reverrai !!!
Est-ce que
tu aimerais vraiment que je vienne seule
avant Buby ? Est-ce pour ma santé que tu m’as dit cela, ou est-ce parce
que tu aimerais m’avoir ? Je sais bien que tu aimerais toujours m’avoir,
cela je le sais, mais est-ce que cela t’est si difficile d’attendre
encore ? Vois-tu, pour toi je veux bien envisager un départ seule pour
l’Europe, mais sans cela rien ne peut m’inciter à quitter mon mari pour tant de
temps. J’ai encore demandé au docteur à Bandoeng, d’ailleurs c’est Buby qui l’a
demandé tout de suite, si ce serait mieux pour moi d’aller en Europe, le
médecin a répondu que non, absolument pas. Aucune nécessité. Donc, si ce n’est
pas absolument nécessaire, j’aimerais mieux ne pas quitter mon mari pour si
longtemps. J’ai le pressentiment que cela ne serait pas bon pour notre mariage, une absence d’une année environ. Quand
il le faut absolument, c’est une autre question, mais quand ce n’est pas
absolument nécessaire il vaut mieux l’éviter. Je vois tant de ces exemples
ici ! Et mon mariage a été un succès jusqu’à présent, et surtout depuis
mon retour de Bandoeng, je revis vraiment une
deuxième lune de miel, plus harmonieuse et plus profonde que la première
même. Mais, il te faut m’écrire franchement là-dessus, tu sais qu’il y a
toujours l’argent en Suisse qui me permet de faire le voyage quand que ce soit.
Alors, la
Maggy attend de nouveau un gosse ! Nom de nom, elles en ont toutes un sauf moi. Je n’y comprends rien et je suis
bien décidée maintenant d’aller me faire visiter. Qu’est-ce que tu en
penses ? Est-ce dangereux une visite pareille ? Cela ne fait pas mal
pourtant ? Oscar maintenant est aussi d’accord, d’abord il ne voulait
jamais, me disant toujours qu’il fallait laisser cela aux soins du Bon Dieu,
mais maintenant il veut bien venir avec moi. Nous irons peut être chez Bernard qui est chirurgien gynécologue.
Dis-moi ce que tu en penses ?
Bernard et Ir ont été très très gentils pour moi
pendant que j’étais à Bandoeng. D’abord je me gênais un peu parce que je
n’avais pas été chez lui comme docteur, j’ai pensé qu’il m’en voudrait, mais
pas du tout. Ce sont même eux qui sont venus me rendre visite chez les Boese où
je logeais. Bernard avait appris que j’avais été à l’hôpital et à titre d’ami
il est venu me voir. Il m’aime beaucoup, il m’a aussi examinée et m’a dit que
je guérirais bien vite, c’est à dire que ce n’était pas grave et que si je
suivais bien mon régime et que je sois prudente j’aurais vite surmonté cela Ir
aussi m’a invitée et m’a bien gâtée. Maintenant Oscar aussi a admis que Bernard
est très, très bon sans le trouver encore bien sympathique, pourtant il l’aime
déjà beaucoup mieux. Et Bernard a
un très bon nom comme médecin à Bandoeng. Mais dans la vie privée, c’est encore
toujours le même paysan.
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Nelly, mai 1938,
photo J. Boese |
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Oscar, mai 1938,
photo J. Boese |
Au mois
d’août Oscar pourra prendre trois
semaines de vacances. Nous avons donc décidé de les passer avec les Boese dans un bungalow de
montagne, les quatre, avec nos domestiques, vu que nous ferons notre propre
popote. Je me réjouis, nous aurons une vie tout à fait libre, pas d’hôtel, rien
que la nature Nous serons à la hauteur du Chasseral (1600 m).
J’aurais
encore tant et tant de choses à te raconter, mais c’est de nouveau le moment de
filer à la poste. La suite donc au prochain numéro. Je vais profiter de ces 15
jours de solitude pour remettre à jour ma correspondance. Une fois enfin !
J’espère
que tout va bien chez vous. Vous êtes à Sutz je pense, profitez-en,… votre …..
Merci à
Charlot pour ses différentes cartes postales, ses belles photos qui nous ont
fait très plaisir. Mes vieux frangins, je pense à vous bien souvent. Et
maintenant mes chers, Schluss !