mardi 28 juillet 2015



28.10.1933
Keboemen

Copie d’une lettre à sa tante Tata à St Gall
2ème partie


Voilà, la rijsttafel a été excellente ce midi. Maintenant nous sommes assis sur la véranda avec une tasse de café. Du café de Java, l’essence, au fond de la tasse, sur laquelle on verse du lait, ce qui donne du « café noir ».

Fort probablement que John et Jans passeront les fêtes de Noël avec nous ici. Jans viendra le mois prochain pour quelques jours m’aider à tout arranger. Les premiers jours ici n’ont pas été faciles, surtout à cause de la langue. Je suis très occupée toute la journée et l’après-midi nous faisons la sieste jusque vers 4 heures. Ensuite il faut se baigner à nouveau. Cela vous semble certainement exagéré que nous nous baignions deux fois par jour, mais c’est la seule façon de se sentir bien. La propreté est la règle no 1 dans les tropiques, pour tout. Les Javanais eux-mêmes sont très propres et se baignent une fois par jour. Ils ne mettent que des haillons mais ils les lavent tout le temps. Vous seriez étonnés comme tout est propre en ordre ici.

Je n’ai rien à dire quant à la chaleur, je l’ai bien supportée jusqu’à maintenant. Enfin, on verra ce que l’avenir apporte. Certain soir je suis obligée de mettre un fichu sur les épaules. Le climat ici est différent, mais sain. Il y a beaucoup de moustiques, heureusement que je suis déjà habituée de Sutz. On a plein de trucs et d’installation pour les combattre. Surtout pas de couleurs foncées. Je voulais faire ma chambre à coucher vieux rose et bleu, mais on m’a fait comprendre que non et maintenant tout est blanc, avec des meubles brun clair. C’est étonnant comme on s’habitue ici à la présence de plein de petites bestioles. Aux parois circulent beaucoup de titiaks (geko), 
titiak/geko

ce sont de petits lézards qui mangent les moustiques, je les aime bien.  Les fourmis sont omniprésentes. Les armoires à provisions doivent être hermétiquement fermées et avec les pieds sur des assiettes à fourmi. Si l’on laisse tomber quoi que ce soit de doux ou sucré par terre, en 5 minutes elles accourent en grand nombre.
Et il y a des centaines d’insectes différents, le soir ils volent autour de la lampe en essaim ! On s’habitue à tout, je ne les remarque même plus. Ah oui, il y a aussi des serpents, raison pour laquelle il y a du gravier tout autour de la maison, cela leur fait mal au ventre ! Il y a remède à tout. Les chauve-souris sont deux fois plus grandes que chez nous et noires comme du velours, beau, n’est-ce pas ? 

Et les papillons, merveilleux, et si grands. Tout ici pousse si fort, les fleurs, les plantes, les arbres et… les poils à mes jambes.

Lundi soir, 29.10.1933
Je prends quand même encore une feuille, pour utiliser le poids et le port. Aujourd’hui j’ai reçu une lettre de Mamali de Como, il semble qu’elle y a eu du beau et bon temps. Je suis contente pour elle. Je n’écrirai pas à la maison aujourd’hui, puisque j’écris cette longue lettre. Puis-je te demander, Tata, de bien vouloir la transmettre dès que possible à Bienne, pour qu’ils aient malgré tout du courrier ? et qu’ils ne doivent pas trop attendre ma missive hebdomadaire. Le weekend prochain nous irons probablement à Djocjakarta (Yogjakarta) pour faire des achats. John nous y retrouvera avec la voiture et nous ferons une belle virée et irons chez eux à Solokarta (Surakarta) pour le dimanche. Il n’y aura donc pas de lettre par avion non plus la semaine prochaine. Je préfère envoyer par avion, même si c’est plus cher. Mais pour Noël je ne pourrai pas écrire à chacun par avion.

A Keboemen il n’y a pas grand chose à faire, ni grand monde, donc il est important d’avoir une âme sœur. Les gens ici sont très gentils, surtout Mme Visser, qui attend un bébé ces jours. J’aurai l’occasion d’apprendre ! L’autre dame, Mme Röhwer, est à moitié javanaise, elle n’a que 23 ans mais en parait beaucoup plus. Elle est jolie et gentille, excellente maîtresse de maison, elle sait bien coudre et connaît les usages ici mais intellectuellement elle est un charmant zéro. Nous nous promenons chaque matin ensemble et allons nous mettre au tennis. Je reste cependant sur mes gardes, car il ne faut pas oublier qu’elle n’est pas européenne. Comme toutes les personnes ici, elles sont gentilles et aimables et j’apprécie beaucoup les Javanais, mais je ressens fortement la différence raciale.  Ce n’est pas qu’ils soient moins que nous mais ils sont différents. Quant aux mariages mixtes, c’est la vie ici qui les rend possible. Bien sûr je n’ai rencontré que des gens simples pour le moment, et pas encore des Javanais cultivés et de la haute société. Mais chez eux aussi, la différence entre eux et nous existe. East is East and West is West. C’est la raison pour laquelle notre chez-nous est si important, c’est là que nous sommes nous-mêmes et dans notre monde à nous.

A la Fabrique travaillent aussi 2 jeunes célibataires, qui habitent en face de chez nous. Vu que c’est lundi soir, et le courrier part demain, nous sommes tous en train d’écrire, je les vois d’ici. Nous sommes environ 40 Européens à Keboemen, et encore tous ceux qui se nomment européen parce qu’ils ont été en Europe, s’habillent à l’européenne ou ont eu une petite amie ou un petit ami européen. J’ai rencontré plusieurs de ces personnes lorsque nous étions à l’hôtel, mais personne d’intéressant. Mme Visser m’a dit qu’ils ont tous des chicanes entre eux. 

Prince javanais
Toutefois dès que nous serons installés, nous devrons faire nos visites de courtoisie, d’abord chez le Résident, soit le représentant du gouvernement hollandais sur place, ensuite chez le Régent, qui est le prince javanais local (Il va la présenter au Prince !!!) et ensuite le pasteur, le docteur, etc. Tous ces gens viendront chez nous pour une visite, selon l’étiquette. Vous en entendrez encore parler.

Recevoir le courrier de Suisse le dimanche en fait un jour de fête. J’ai encore reçu une carte de Maman de Como…  et un paquet de Journaux du Jura. C’est si gentil des Gassmann qu’ils m’offrent le journal, je vais me plonger dans les nouvelles de Bienne après le repas. Ainsi je vis un peu avec vous. Je n’ai pas encore eu l’ennui, non non, Oscarli est si gentil et attentionné, nous nous complétons si bien. Il me semble que je l’ai toujours eu à mes côtés et je m’étonne d’avoir pu vivre sans lui avant de le rencontrer.

Cher petit Maxi : vu que tu as l’habitude d’envoyer des habits d’enfants outre-mer, pourrais-tu me faire parvenir une petite grenouillère pour le bébé de Mme Visser qui va naître ces jours ? Elle m’a rendu de grands services et ainsi je pourrais la remercier. Je te fais parvenir le montant par banque, avec 2 % en plus pour les frais de port. Ceci seulement si cela ne t’occasionne pas de tracas. On trouve bien des habits pour bébé ici, mais quelque chose de joli venant de Suisse sera très apprécié ! Je serais contente de recevoir cela pour Noël.

Nous sommes si heureux d’avoir notre machine à écrire. A la douane nous avons pris des mines d’anges et dit qu’il s’agissait d’une vieille occasion. Heureusement que l’humidité de la Mer rouge a fait un peu rouiller la poignée du couvercle…..
Je vous écris sur la véranda et en pyjama. Oscar est sous la klamboe (moustiquaire) et lit avec une lampe de poche. Il est toujours très fatigué, car il ne fait pas de sieste à midi.

Mes chers, all the best et bien des baisers de votre  Ge….

1 commentaire:

  1. There is no complaint (yet?) about the heat ("la chaleur")! Often, when visiting the tropics with its air-conditioned buildings and cars, I have thought about the early settlers that had no such things.

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