Batavia
20 juin 1941
pas numérotée
Cette
fois–ci j’ai honte pour de bon ! Car hier
j’ai reçu, non ce matin, j’ai reçu ta lettre 255 alors que la 256 est en ma possession depuis
bientôt 2 semaines. On ne peut
jamais rien dire avec ces lettres, les unes prennent très longtemps pour
parvenir à leur destination et les autres arrivent relativement assez vite.
J’ai aussi observé que tes lettres mettent un temps moins long pour me parvenir
que les miennes. C’est pourquoi il ne faut jamais t’en faire, si tu es très
longtemps sans nouvelles de nous. D’ailleurs nous avons décidés de vous envoyer
un télégramme tous les 2-3 mois pour le cas où mes lettres ne te parviendraient
pas du tout. Je te confirme donc notre télégramme… ouf ! je radote comme
une vieille femme, mais c’est ainsi quand on écrit une lettre par petits bouts,
on ne se rappelle plus ce qu’on vient d’écrire.
Avant hier
j’ai eu la visite de Ir. Elle est
venue accompagner Bernard à Batavia d’où il s’envolait pour Singapore où il
était appelé en consultation. Je vous dis, il a un très bon nom comme médecin
et comme vous voyez sa réputation s’étend déjà hors d’ici. Qui aurait cru cela
quand il était en visite chez nous !!! Il est un peu plus élégant dans ses
manières, mais pas beaucoup et il donne encore toujours l’impression d’être un
ours mal léché, mais on le lui pardonne bien car il est extrêmement bon et
malgré tout son succès il est resté simple en tout. Moi, je l’aime bien. Ir
aussi est toujours très bonne. De ses vacances en Australie et Nouvelle
Zélande, elle m’a rapporté un très joli collier fantaisie qui va me faire tout
le chic d’une petite robe blanche ; à Conradli elle a apporté une jolie
brouette et comme elle ne savait rien pour Oscar, elle m’a donné un immense
bouquet d’orchidées pardessus le marché. Comme elle logeait dans le plus bel
hôtel ici, elle nous a invités à souper le soir. Nous avons d’abord été au
cinéma, puis avons eu un très bon souper, 12 plats ! avec une bouteille de
Bourgogne mousseux. Enfin, nous en avons beaucoup joui, seulement j’ai un tout
petit peu eu du remords car cela lui est
venu à coûter très cher, car elle a tenu à tout payer, et moi je ne puis
jamais le lui rendre. Mais enfin, je me dis que toi, tu le fais pour moi en
écrivant à Kitty (la sœur de Ir, en Hollande) de temps en
temps, et en me donnant des nouvelles aussi. Ir a bonne mine et tout va bien
chez eux, tu pourras l’écrire à Kitty. Ir a aussi eu de ses nouvelles, et entre
autre une photo de Kitty et du baby, par l’entremise d’une autre connaissance.
Ne te fais
plus de souci pour moi à cause de notre Papali. Je suis entièrement résignée.
J’ai bien lu tous les passages de la Bible que tu m’indiques. Moi aussi j’y lis
beaucoup tous les matins et j’y trouve une immense consolation et une paix bien
heureuse pour toute la journée. Oh, c’est un tel soutien de toujours savoir et
avoir ce grand Ami près de soi, autour de soi et en soi. Papali doit aussi être
heureux s’il nous voit.
Je suis si
contente que vous ayez fait ce tour à
Lugano, je me rappelle le « si fa ma non si dice ! » ( ???) je crois bien que oui, et
même je revois encore les garçons comme ils luttaient dans leur chambre, le
matin de leur 18ème anniversaire. Oui, c’était un bon temps et
ensuite les quelques jours que nous avons passé seules les deux et quand mon
cœur était déjà rempli de Boili !!!
J’ai bien
ri de ce que tu me racontes du Padreli, quand il semait ses vieux timbres
devant chez Osci. Mais pourquoi faisait-il cela, est-ce qu’il n’était plus ami
avec Osci ? Ce vieil avare, qu’est-ce qu’il fait toujours ?
Je trouve
bien triste pour Irma, mais enfin, elle aura au moins été mariée !!! Il y
a ici aussi beaucoup de mariages ainsi qui se défont, c’est triste, surtout
pour les enfants qui sont toujours dupes. Quand on a la paix chez soi et
l’harmonie, on ne peut jamais assez l’apprécier.
C’est
aussi pourquoi je dis souvent à Boili quand il a de nouveau une colère au bureau, et il en a
beaucoup, qu’il y a bien des gens qui voudraient être à notre place. On a
trouvé moyen de ne pas nous donner autant d’argent que d’autres reçoivent. Je
ne peux pas tout te raconter, il vaut mieux ne pas écrire à propos de ces
choses-là, suffit qu’on cherche à nuire
où on peut, heureusement qu’on a pas trop d’influence sur « l’ami aux 4 baisers » (M. de la Bastide)! Tu sais bien de qui je veux parler, hein ?
Mais comme Oscar est si souvent retenu loin du bureau par son service, tout
comme mes frères, on en profite pour lui
nuire et défaire tout ce qu’il a fait, tu comprends. On trouve toujours
aussi que Boili ne travaille pas assez,
etc, enfin, on peut toujours trouver à redire quand on cherche des poux dans la
paille. Oscar a donc beaucoup à supporter et je l’aide comme je peux. La cruche
se cassera bien une fois, et moi je remets toutes ces choses-là à notre
Seigneur, il ne faut pas chercher à savoir pourquoi il nous envoie ces
soucis-là. Je suis bien contente que Boili aussi pense ainsi et tâche de vivre
selon ces principes. Pourtant il ne faut pas te faire du souci, l’ami principal
est toujours correct avec nous et nous veut du bien, il n’y a pas de doute.
Pour le moment il n’y a rien à faire que de laisser aller la cruche à
l’eau… ! Il y a partout des conflits pareils, nous ne sommes pas les seuls
à en souffrir, et puis pour dire vrai nous n‘en souffrons pas, car une
fois à la maison nous sommes bien
heureux les trois, d’un bonheur que la malveillance et les chicaneries de
l’extérieur ne peuvent pas détruire. Et dire que tout cela dérive de la jalousie !!! (Oscar étant le fils d’un ancien directeur très influent de la Banque
centrale pour les Indes néerlandaises).
J’aime
beaucoup l’idée que les cendres de notre Papali soient posées dans la grotte,
ainsi il ne quittera pas son cher Chalet. Je suis contente que tu aies reçu cet
argent de l’assurance, mais dis-moi, est-ce tout ce que tu recevras, ou bien
est-ce qu’il te sera encore payé une espèce de rente annuelle ? (l’Assurance Vieillesse et Survivants n’existait pas encore…)
Ah, si tu
pouvais voir ton Conradli en ce moment !
![]() |
Un vrai garçon, il est dans son
box, planté sur un petit char en bois grâce à quoi il peut voir par dessus le
mur, et il crie tout ce qu’il peut, il dit bonjour en malais aux gens qui
passent sur la route.
Il devient
garçon, c’est fou, il s’essaie à lancer maintenant et tout ce qu’il peut
attraper, il le lance aussi loin qu’il peut. Il déteste quand nous lisons
ensemble le journal, Boili et moi, et que nous sommes les deux cachés derrière
ces grand bouts de papier, alors il crie et vient frapper dessus, car le petit
diable est habitué à ce qu’on fasse attention à lui ! Mogendorff, (excellent ami et
collègue d’Oscar) qui était ici hier pour une courte visite, reste encore
toujours étonné quand il voit Conradli, parce qu’il est si grand et bien bâti.
Et me
voilà de nouveau à la fin de mon papier, mais des histoires je pourrais encore
en raconter jusqu’à 100 et retour. Toutefois cette lettre doit partir. Je pense
à vous tous, nous nous reverrons un beau jour et ce sera une grande joie. Jusque là patience, confiance et
persévérance.
Inclus,
quelques photos, qui j’espère vous parviendront. Il y en a 9 pièces.
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