28.10.1933
Keboemen
Copie d’une lettre à sa tante Tata
à St Gall
2ème partie
Voilà, la rijsttafel a été
excellente ce midi. Maintenant nous sommes assis sur la véranda avec une tasse
de café. Du café de Java, l’essence, au fond de la tasse, sur laquelle on verse
du lait, ce qui donne du « café noir ».
Fort probablement que John et Jans
passeront les fêtes de Noël avec nous ici. Jans viendra le mois prochain pour
quelques jours m’aider à tout arranger. Les premiers jours ici n’ont pas été
faciles, surtout à cause de la langue. Je suis très occupée toute la journée et
l’après-midi nous faisons la sieste jusque vers 4 heures. Ensuite il faut se
baigner à nouveau. Cela vous semble certainement exagéré que nous nous
baignions deux fois par jour, mais c’est la seule façon de se sentir bien. La
propreté est la règle no 1 dans les tropiques, pour tout. Les Javanais
eux-mêmes sont très propres et se baignent une fois par jour. Ils ne mettent
que des haillons mais ils les lavent tout le temps. Vous seriez étonnés comme
tout est propre en ordre ici.
Je n’ai rien à dire quant à la
chaleur, je l’ai bien supportée jusqu’à maintenant. Enfin, on verra ce que
l’avenir apporte. Certain soir je suis obligée de mettre un fichu sur les
épaules. Le climat ici est différent, mais sain. Il y a beaucoup de moustiques,
heureusement que je suis déjà habituée de Sutz.
On a plein de trucs et d’installation pour les combattre. Surtout pas de
couleurs foncées. Je voulais faire ma chambre à coucher vieux rose et bleu,
mais on m’a fait comprendre que non et maintenant tout est blanc, avec des
meubles brun clair. C’est étonnant comme on s’habitue ici à la présence de
plein de petites bestioles. Aux parois circulent beaucoup de titiaks (geko),
ce sont de petits lézards qui mangent les moustiques, je les aime bien. Les fourmis sont omniprésentes. Les armoires à provisions doivent être hermétiquement fermées et avec les pieds sur des assiettes à fourmi. Si l’on laisse tomber quoi que ce soit de doux ou sucré par terre, en 5 minutes elles accourent en grand nombre.
titiak/geko |
ce sont de petits lézards qui mangent les moustiques, je les aime bien. Les fourmis sont omniprésentes. Les armoires à provisions doivent être hermétiquement fermées et avec les pieds sur des assiettes à fourmi. Si l’on laisse tomber quoi que ce soit de doux ou sucré par terre, en 5 minutes elles accourent en grand nombre.
Et il y a des centaines d’insectes
différents, le soir ils volent autour de la lampe en essaim ! On s’habitue
à tout, je ne les remarque même plus. Ah oui, il y a aussi des serpents, raison
pour laquelle il y a du gravier tout autour de la maison, cela leur fait mal au
ventre ! Il y a remède à tout. Les chauve-souris sont deux fois plus
grandes que chez nous et noires comme du velours, beau, n’est-ce pas ?
Et
les papillons, merveilleux, et si grands. Tout ici pousse si fort, les fleurs,
les plantes, les arbres et… les poils à mes jambes.
Lundi soir, 29.10.1933
Je prends quand même encore une
feuille, pour utiliser le poids et le port. Aujourd’hui j’ai reçu une lettre de
Mamali de Como, il semble qu’elle y a eu du beau et bon temps. Je suis contente
pour elle. Je n’écrirai pas à la maison aujourd’hui, puisque j’écris cette
longue lettre. Puis-je te demander, Tata, de bien vouloir la transmettre dès
que possible à Bienne, pour qu’ils aient malgré tout du courrier ? et
qu’ils ne doivent pas trop attendre ma missive hebdomadaire. Le weekend
prochain nous irons probablement à Djocjakarta (Yogjakarta) pour faire des
achats. John nous y retrouvera avec la voiture et nous ferons une belle virée
et irons chez eux à Solokarta (Surakarta) pour le dimanche. Il n’y aura donc
pas de lettre par avion non plus la semaine prochaine. Je préfère envoyer par
avion, même si c’est plus cher. Mais pour Noël je ne pourrai pas écrire à
chacun par avion.
A Keboemen il n’y a pas grand
chose à faire, ni grand monde, donc il est important d’avoir une âme sœur. Les
gens ici sont très gentils, surtout Mme Visser, qui attend un bébé ces jours.
J’aurai l’occasion d’apprendre ! L’autre dame, Mme Röhwer, est à moitié
javanaise, elle n’a que 23 ans mais en parait beaucoup plus. Elle est jolie et
gentille, excellente maîtresse de maison, elle sait bien coudre et connaît les
usages ici mais intellectuellement elle est un charmant zéro. Nous nous
promenons chaque matin ensemble et allons nous mettre au tennis. Je reste cependant
sur mes gardes, car il ne faut pas oublier qu’elle n’est pas européenne. Comme
toutes les personnes ici, elles sont gentilles et aimables et j’apprécie
beaucoup les Javanais, mais je ressens fortement la différence raciale. Ce n’est pas qu’ils soient moins que
nous mais ils sont différents. Quant aux mariages mixtes, c’est la vie ici qui
les rend possible. Bien sûr je n’ai rencontré que des gens simples pour le
moment, et pas encore des Javanais cultivés et de la haute société. Mais chez
eux aussi, la différence entre eux et nous existe. East is East and West is
West. C’est la raison pour laquelle notre chez-nous est si important, c’est là
que nous sommes nous-mêmes et dans notre monde à nous.
A la Fabrique travaillent aussi 2
jeunes célibataires, qui habitent en face de chez nous. Vu que c’est lundi
soir, et le courrier part demain, nous sommes tous en train d’écrire, je les
vois d’ici. Nous sommes environ 40 Européens à Keboemen, et encore tous ceux
qui se nomment européen parce qu’ils ont été en Europe, s’habillent à
l’européenne ou ont eu une petite amie ou un petit ami européen. J’ai rencontré
plusieurs de ces personnes lorsque nous étions à l’hôtel, mais personne
d’intéressant. Mme Visser m’a dit qu’ils ont tous des chicanes entre eux.
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Prince javanais |
Toutefois
dès que nous serons installés, nous devrons faire nos visites de courtoisie,
d’abord chez le Résident, soit le représentant du gouvernement hollandais sur
place, ensuite chez le Régent, qui est le prince javanais local (Il va la
présenter au Prince !!!) et ensuite le pasteur, le docteur, etc. Tous ces
gens viendront chez nous pour une visite, selon l’étiquette. Vous en entendrez
encore parler.
Recevoir le courrier de Suisse le
dimanche en fait un jour de fête. J’ai encore reçu une carte de Maman de Como… et un paquet de Journaux du Jura. C’est si gentil des Gassmann qu’ils m’offrent le
journal, je vais me plonger dans les nouvelles de Bienne après le repas. Ainsi
je vis un peu avec vous. Je n’ai pas encore eu l’ennui, non non, Oscarli est si
gentil et attentionné, nous nous complétons si bien. Il me semble que je l’ai
toujours eu à mes côtés et je m’étonne d’avoir pu vivre sans lui avant de le
rencontrer.
Cher petit Maxi : vu que tu
as l’habitude d’envoyer des habits d’enfants outre-mer, pourrais-tu me faire
parvenir une petite grenouillère pour le bébé de Mme Visser qui va naître ces
jours ? Elle m’a rendu de grands services et ainsi je pourrais la
remercier. Je te fais parvenir le montant par banque, avec 2 % en plus pour les
frais de port. Ceci seulement si cela ne t’occasionne pas de tracas. On trouve
bien des habits pour bébé ici, mais quelque chose de joli venant de Suisse sera
très apprécié ! Je serais contente de recevoir cela pour Noël.
Nous sommes si heureux d’avoir
notre machine à écrire. A la douane nous avons pris des mines d’anges et dit
qu’il s’agissait d’une vieille occasion. Heureusement que l’humidité de la Mer
rouge a fait un peu rouiller la poignée du couvercle…..
Je vous écris sur la véranda et en
pyjama. Oscar est sous la klamboe (moustiquaire)
et lit avec une lampe de poche. Il est toujours très fatigué, car il ne fait
pas de sieste à midi.
Mes chers, all the best et bien
des baisers de votre Ge….