vendredi 3 novembre 2017





Soekaboemi /Sukabumi
(Lieu de villégiature en altitude près de Batavia)

19 novembre 1941
237, à la main


Ma chère Mamali, Rötteli chérie et mes Charlous !
J’ai reçu cet après midi ta lettre 262. Comme je t’en remercie, c’est si bon d’avoir une de tes lettes, aussi, Boili me l’a envoyée immédiatement. Il a passé le week-end ici et est parti le lundi matin à 5 heures pour Batavia où il arrivait juste à temps pour le bureau. Voilà déjà 1 mois que nous sommes ici en vacances. Il y fait très bon et très beau. C’est un hôtel comme à Macolin (au-dessus de Bienne) le grand hôtel Bellevue, et la vue me rappelle beaucoup celle de Macolin, seulement il manque le lac. L’hôtel est très grand, très bon et très à la mode C’est cher aussi, mais tant pis, ainsi je profite plus qu’en ayant loué un bungalow où j’aurais toujours plus ou moins dû m’occuper du ménage. Ici je suis libre et je ne m’occupe que de Schnucksi. Mais quelle occupation ! Maman, c’est fou, il est trois fois plus vif ici qu’à Batavia dans la chaleur. J’ai toujours l’impression que je m’occupe de mille grenouilles qui sautent de tous côtés. C’est un enfant terrible, mais si gai ! Il est ami avec tout l’hôtel ! Et chacun s’amuse avec lui et le gâte, aussi tous les matins je fais emballer notre déjeuner et je m’en vais à la forêt avec lui. Là. Nous sommes seuls et il s’amuse très très bien à lancer des pierres dans les ruisseaux, à sauter des petits fossés, etc. Des jours il aime marcher, alors nous faisons une longue promenade et quand il est fatigué, je le porte sur mon dos comme un formage. D’autres jours, il trouve tant à s’amuser que je n’avance pas de 200 m, alors je m’assieds quelque part et je tricote des chaussettes de laine pour Boili tout en surveillant Conradli. La plupart des mamans ici laissent leurs enfants avec les baboes, mais je n’aime pas cela. Nous sommes à 1000 m d’altitude ici et le climat est très bon, je suis beaucoup plus « fit » qu’à Batavia. Mon foie aussi va bien, je ne le sens plus du tout, et notre docteur, qui est aussi en vacances ici en ce moment, m’a dit que cela venait en grande partie du climat. Je le crois aussi maintenant.
Oui, la mort de Coen (voir lettre précédente) nous a bien affectés, mais nous savons nous soumettre. J’espère que tu auras reçu ma lettre suivant le télégramme. Il ne faut pas pleurer pour Coen, il est heureux, c’est seulement difficile d’accepter de ne plus le voir, de l’avoir perdu, alors que justement on commençait par s’écrire de nouveau. Oui, je comprends que tu aies eu de la peine à laisser notre Papali au Chalet, mais pense qu’il y a été heureux et qu’il est encore plus heureux maintenant. Vraiment mynes Rötteli, il ne faut plus jamais t’en faire pour moi, pour nous quoi qu’il arrive, car qui sait si nous ne seront pas aussi dans la tourmente un beau jour (prémonition ?). Je ne suis plus la girlie « sensible and sensitive » qui vous a quittés, oh non !  surtout je ne suis plus si impressionnable. Mon caractère s’est tellement affermi et je ne prends plus les choses si au sérieux, ou plutôt si lourdement. Enfin, tu le sais toi-même, comme « ça » nous change ; et ce changement chez moi s’effectue depuis plusieurs années déjà. Je pense si souvent à ce que tu avais l’habitude de dire : plus on avance dans la vie, plus on voit les choses et les gens clairement et plus on se détache d’un tas de choses inutiles. C’est comme de faire l’ascension d’une montagne, plus on monte, plus la vue s’étend, s’élargit et se clarifie. J’ai beaucoup appris et j’apprends encore de Boili de ce côté-là. Boili est immensément bon, moralement pour moi, matériellement aussi, cela va sans dire ! Et plus les années passent, plus nos deux personnalités s’harmonisent. Par mon mariage, j’ai abandonné beaucoup, parents, famille, amis, pays, patrie et malgré tout j’ai le sentiment que je n’ai pas perdu au change. Et si c’était à recommencer, je n’hésiterais pas, d’ailleurs j’admets que mon mariage « était écrit » et chacun doit suivre son destin.
J’ai bien une mauvaise conscience quant aux lettres que je t’écris. Je pourrais écrire bien plus souvent que je ne le fais. Chaque fois qu’une de mes lettres est partie, je me promets de ne pas attendre longtemps, avant d’écrire, mais un mois passe avant que je m’en doute, et voilà Rötteli sans nouvelles de nouveau.
Merci aussi de toutes les nouvelles que tu me donnes. Bon sang, comme le temps passe. Je ne réalise pas que je suis ici depuis 8 ans déjà et qu’à Bienne aussi le temps ne s’arrête pas.
Je vois que tu as toujours bien des visites pourvu que cela ne te fatigue pas trop. Alors, tu mets le Chalet à la disposition de ceux qui en ont besoin ? Tu as raison.
Sukabumi nov. 1941
Il faut dire que Conradli m’occupe beaucoup. Il est terriblement fatigant des fois, mais ça vaut la peine !!!

novembre 1941

Je vous envoie inclus quelques photos que nous avons faites ici. Tu pourras te rendre compte que mes 2 nouvelles dents de devant ne me changent pas, j’ai exactement la même bouche qu’avant (toujours aussi grande, surtout !). Depuis quelques jours, Conradli sait donner de vrais baisers quand je le lui demande : il plaque un de ces baisers retentissant sur ma joue, tellement bien que je ne m’en fatigue pas de le lui demander, mais comme Loulou il ne veut pas toujours !


Mes chers, c’est bientôt Noël, et une nouvelle année en vue. Est-ce qu’elle nous réunira enfin ? Je n’ose pas l’espérer, mais nous savons nous soumettre, n’est-ce pas, et accepter. Tous mes vœux pour Noël et la Nouvelle année, mes pensées et mes prières pour chacun de vous tous.
Je penserai à toi le 19, Mamali, (son anniversaire) exactement dans un mois. J’espère que vous aurez cette lettre pour les Fêtes.
Mes chers, tout mon amour, toutes mes pensées toute notre affection et ces menottes de Conradli autour de ton cou, grand-maman !
Nelly
P.S. j’envoie cette lettre à Boili qui vous l’enverra depuis Batavia.




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