Soekaboemi /Sukabumi
(Lieu de villégiature en altitude près de
Batavia)
19 novembre 1941
237, à la
main
Ma chère
Mamali, Rötteli chérie et mes Charlous !
J’ai
reçu cet après midi ta lettre 262.
Comme je t’en remercie, c’est si bon d’avoir une de tes lettes, aussi, Boili me
l’a envoyée immédiatement. Il a passé le week-end ici et est parti le lundi
matin à 5 heures pour Batavia où il arrivait juste à temps pour le bureau.
Voilà déjà 1 mois que nous sommes ici en vacances. Il y fait très bon et très
beau. C’est un hôtel comme à Macolin (au-dessus de Bienne) le grand hôtel Bellevue, et la vue me rappelle beaucoup celle de
Macolin, seulement il manque le lac. L’hôtel est très grand, très bon et très à
la mode C’est cher aussi, mais tant pis, ainsi je profite plus qu’en ayant loué
un bungalow où j’aurais toujours plus ou moins dû m’occuper du ménage. Ici je
suis libre et je ne m’occupe que de Schnucksi. Mais quelle occupation !
Maman, c’est fou, il est trois fois plus vif ici qu’à Batavia dans la chaleur.
J’ai toujours l’impression que je m’occupe de
mille grenouilles qui sautent de tous côtés. C’est un enfant terrible, mais
si gai ! Il est ami avec tout l’hôtel ! Et chacun s’amuse avec lui et
le gâte, aussi tous les matins je fais emballer notre déjeuner et je m’en vais
à la forêt avec lui. Là. Nous sommes seuls et il s’amuse très très bien à
lancer des pierres dans les ruisseaux, à sauter des petits fossés, etc. Des
jours il aime marcher, alors nous faisons une longue promenade et quand il est
fatigué, je le porte sur mon dos comme un formage. D’autres jours, il trouve
tant à s’amuser que je n’avance pas de 200 m, alors je m’assieds quelque part
et je tricote des chaussettes de laine pour Boili tout en surveillant Conradli.
La plupart des mamans ici laissent leurs enfants avec les baboes, mais je
n’aime pas cela. Nous sommes à 1000 m
d’altitude ici et le climat est très bon, je suis beaucoup plus
« fit » qu’à Batavia. Mon foie aussi va bien, je ne le sens plus du
tout, et notre docteur, qui est aussi en vacances ici en ce moment, m’a dit que
cela venait en grande partie du climat. Je le crois aussi maintenant.
Oui, la
mort de Coen (voir lettre précédente)
nous a bien affectés, mais nous savons nous soumettre. J’espère que tu auras
reçu ma lettre suivant le télégramme. Il ne faut pas pleurer pour Coen, il est
heureux, c’est seulement difficile d’accepter de ne plus le voir, de l’avoir
perdu, alors que justement on commençait par s’écrire de nouveau. Oui, je
comprends que tu aies eu de la peine à laisser notre Papali au Chalet, mais
pense qu’il y a été heureux et qu’il est encore plus heureux maintenant.
Vraiment mynes Rötteli, il ne faut plus jamais t’en faire pour moi, pour nous
quoi qu’il arrive, car qui sait si nous
ne seront pas aussi dans la tourmente un beau jour (prémonition ?). Je ne suis plus la girlie « sensible and
sensitive » qui vous a quittés, oh non ! surtout je ne suis plus si impressionnable.
Mon caractère s’est tellement affermi et je ne prends plus les choses si au
sérieux, ou plutôt si lourdement. Enfin, tu le sais toi-même, comme
« ça » nous change ; et ce changement chez moi s’effectue depuis
plusieurs années déjà. Je pense si souvent à ce que tu avais l’habitude de dire :
plus on avance dans la vie, plus on voit les choses et les gens clairement et
plus on se détache d’un tas de choses inutiles. C’est comme de faire l’ascension d’une montagne, plus on
monte, plus la vue s’étend, s’élargit et se clarifie. J’ai beaucoup appris et
j’apprends encore de Boili de ce côté-là. Boili est immensément bon, moralement
pour moi, matériellement aussi, cela va sans dire ! Et plus les années
passent, plus nos deux personnalités s’harmonisent. Par mon mariage, j’ai
abandonné beaucoup, parents, famille, amis, pays, patrie et malgré tout j’ai le
sentiment que je n’ai pas perdu au change. Et si c’était à recommencer, je
n’hésiterais pas, d’ailleurs j’admets que mon mariage « était écrit »
et chacun doit suivre son destin.
J’ai
bien une mauvaise conscience quant aux lettres que je t’écris. Je pourrais
écrire bien plus souvent que je ne le fais. Chaque fois qu’une de mes lettres
est partie, je me promets de ne pas attendre longtemps, avant d’écrire, mais un
mois passe avant que je m’en doute, et voilà Rötteli sans nouvelles de nouveau.
Merci
aussi de toutes les nouvelles que tu me donnes. Bon sang, comme le temps passe.
Je ne réalise pas que je suis ici depuis 8 ans déjà et qu’à Bienne aussi le
temps ne s’arrête pas.
Je vois
que tu as toujours bien des visites pourvu que cela ne te fatigue pas trop.
Alors, tu mets le Chalet à la disposition de ceux qui en ont besoin ? Tu
as raison.
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Sukabumi nov. 1941 |
Il faut
dire que Conradli m’occupe beaucoup. Il est terriblement fatigant des fois,
mais ça vaut la peine !!!
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novembre 1941 |
Je vous
envoie inclus quelques photos que nous avons faites ici. Tu pourras te rendre
compte que mes 2 nouvelles dents de devant ne me changent pas, j’ai exactement
la même bouche qu’avant (toujours aussi grande, surtout !). Depuis
quelques jours, Conradli sait donner de vrais baisers quand je le lui
demande : il plaque un de ces baisers retentissant sur ma joue, tellement
bien que je ne m’en fatigue pas de le lui demander, mais comme Loulou il ne
veut pas toujours !
Mes
chers, c’est bientôt Noël, et une nouvelle année en vue. Est-ce qu’elle nous réunira enfin ? Je n’ose pas l’espérer,
mais nous savons nous soumettre, n’est-ce pas, et accepter. Tous mes vœux pour
Noël et la Nouvelle année, mes pensées et mes prières pour chacun de vous tous.
Je
penserai à toi le 19, Mamali, (son
anniversaire) exactement dans un mois. J’espère que vous aurez cette lettre
pour les Fêtes.
Mes
chers, tout mon amour, toutes mes pensées toute notre affection et ces menottes
de Conradli autour de ton cou, grand-maman !
Nelly
P.S.
j’envoie cette lettre à Boili qui vous l’enverra depuis Batavia.
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