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(Batavia)
13.1.1942
à la main
Mes bien
chers,
Je viens
d’apprendre qu’on peut de nouveau envoyer des lettres et je m’empresse de vous
donner de mes nouvelles. Je joins cette lettre à une lettre écrite le 24 novembre et qui n’est pas partie parce que je voulais toujours ajouter quelque chose, je
suis contente de pouvoir le faire maintenant.
C’est
donc ce lundi où je devais avoir l’ami
à souper que la guerre a été déclarée
ici (7.12.1941
Pearl Harbor). Oscar a dû partir immédiatement après que nous avons
entendu la nouvelle par la radio, je te supplie, maman de ne pas te faire de
soucis pour nous. Quoi qu’il nous arrive, j’ai remis nos vies à Dieu. Oscar
aussi lit sa bible anglaise et y puise sa force. Il vient à la maison une fois
par semaine environ, pour quelques heures et chaque fois nous nous quittons
réconfortés
.
J’ai été seule pendant Noël et Nouvel An, je
n’ai pas versé une larme.
J’ai
fait un arbre pour Conrad, mais cela ne lui a fait aucune impression. J’avais invité plusieurs femmes seules comme moi
et j’avais ici 6 enfants, tous environ de l‘âge de Conrad. J’ai été invitée à
dîner chez l’ami avec d’autres femmes seules des employés du bureau. C’était
très gentil. Tout le monde est très très gentil pour moi je suis beaucoup
entourée et j’ai beaucoup d’invitations pour aller vivre ensemble avec l’un ou
l’autre, ce qui se fait beaucoup ici, vu qu’il y a tant de femmes qui n‘aiment
pas rester seules à la maison. Moi pas, je ne quitte pas ma maison si je n’y
suis pas obligée par force majeure. Je remercie Dieu de m’avoir donné Conrad.
Depuis Noël environ, il répète tout ce qu’on lui dit et il commence joliment à
parler. C’est trop beau, il est une joie de tous les instants pour moi, malgré
que parfois je ne sais plus où me mettre pour avoir un peu de
tranquillité !!! Il a un petit ami ici avec qui il s’amuse très bien et
des fois je dois aller me cacher pour rire, rire, tellement ils sont
drôles ! Vois-tu, c’est ainsi que je n’ai pas l’occasion de laisser pendre
la tête, et quand j’ai un moment bleu, je me réfugie dans ma chambre et je vais
puiser de nouvelles forces.
Maman,
mes frères, j’ai peut-être encore beaucoup de chagrin qui m’attend (Nelly
est bien consciente de la situation politique en Asie, mais refuse d’en parler
explicitement dans ses lettres à sa maman), à quoi bon ne pas regarder les
choses en face, mais j’aimerais vous convaincre qu’il ne faut pas vous faire de
soucis pour nous. Croyez-moi, mes chers, ne pensez pas que je vous écris ainsi
pour vous tranquilliser ou quoi que ce soit ; non, je vous ai toujours
écrit la vérité selon ma promesse à toi maman, avant mon départ, et ce n’est
pas maintenant que je vais vous mentir. Jusqu’à présent nous n’avons encore
rien eu ici, mais cela peut venir. Nous
sommes organisés comme à Londres. J’ai dépensé sans compter pour me
procurer un maximum de sécurité. Je reste ici à Batavia, à moins que nous ne
soyons évacués par l’ordre du gouvernement, mais je ne pense pas que cela se
fera. Oscar est bien exposé, je ne vous le cache pas, et non plus que cela est
ma grande anxiété, mais mes chers, c’est justement en ça que je me sens
tellement supportée que cela tient du miracle. Si vous en voulez une preuve, eh
bien, c’est tout le monde qui vient chez moi chercher de la force, consolation
ou apaisement. Il ne se passe pas un jour que je n’aie pas de visites et des
fois des femmes que je connais à peine. Si donc je n’étais pas moi-même calme
et sereine, sûrement les gens ne viendraient pas ainsi. Maman, ne laisse pas l’anxiété
gagner ton cœur, garde confiance.
Ne
sachant pas si mes lettres vous parviendront, je vais vous télégraphier tous
les deux mois si cela est possible. Dans mon dernier télégramme pour ta fête,
Mamali, je n’ai pas mis, bons vœux, mais j’espère que tu auras tout de même
senti qu’ils y étaient. Merci de votre télégramme reçu 2 jours après Noël et
qui m’a fait un immense plaisir.
J’ai
tricoté et je tricote encore un nombre incalculable de bonnes chaussettes de laine ( !) pour Oscar. J’ai aussi toujours de ses amis
qui viennent me rendre visite ! Et je les gâte comme toi tu le fais aussi.
Je suis
si reconnaissante que nous ayons encore eu ce séjour à la montagne. Nous nous
portons bien, et après la première semaine de guerre pendant laquelle j’ai
souvent eu mal au ventre et senti mon foie, je n’ai plus eu mal et me porte
très bien heureusement. Du reste, notre vie continue normalement, chacun étant
calme et résolu.
Je sais
que les Kinsbergen sont arrivés (*voir commentaire au bas de la page),
mais je n’ai pas encore eu l’occasion d’avoir contact avec eux, cela viendra
car naturellement je tiens à avoir le paquet que tu leur as remis pour
Conradli.
Mon fidèle Kaidi ne me quitte pas, il est devenu un ami plutôt qu’un serviteur,
j’en suis très heureuse.
Et voilà
mes bien chers, je vous quitte pour aujourd’hui, nous sommes unis et confiants
dans le Seigneur. Toutes mes prières, mes pensées et mes bons vœux. Aussi all
the best de Boili et un baiser de Conrad.
*
Famille Kinsbergen, de Biel/Bienne
Charlotte
« Lotti » Schmid, née 1906, était une amie de Nelly à Bienne. Elle a
épousé en 1934 Salomon « Pam » Kinsbergen, commerçant en horlogerie.
Ils ont eu deux enfants, Manus et Franca, tous deux plus âgés que Conrad. Vers
fin 1941, Pam étant d’origine juive, ils ont émigré à Java, alors encore
colonie néerlandaise. Pam a été recruté dans l’armée. Début 1942 Lotti et ses
enfants ont été internés dans un camp de concentration japonais. Ce furent les
pires années de leur vie, mentionne-t-elle.
(source : Lotti Kinsbergen – 101
Jahre erfülltes Leben, Mémoire régionale, Bienne, www.memreg.ch, traduction
sommaire par C. Marchand)
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