Batavia
12 mai 1941
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Je
commence cette lettre sous les cris de rage de Conradli. Il est furieux et se
débat dans son box en cassant tous ses jouets. Nous avons eu des visites ce
matin et je l’ai laissé s’amuser un peu trop, de sorte qu’il n’a pas trouvé le
sommeil pendant sa sieste.
Conradli
ne m’a pas laissée écrire plus tantôt. Nous avons été prendre notre douche puis
je l’ai emmené promener en poussette. Il aime beaucoup cela et cela l’a calmé.
C’est fou
ce qu’il aime les enfants et jouer avec eux. Aussi petit qu’il soit il ne veut
rien savoir des filles, mais préfère les petits garçons. Celui de ce matin
avait trois ans et alors Conradli copie tout ce qu’il fait. Je le retiens
autant que je peux et je le laisse rarement longtemps avec d’autres enfants
surtout quand ceux-ci sont plus âgés que lui. Je le retiens vraiment tant que
je peux, car il est très intelligent et a déjà l’air beaucoup plus âgé que son
âge. C’est déjà tellement un petit garçon, plus un baby, ce que je regrette
bien.
Le but de
cette lettre est vraiment pour vous raconter l’évènement de dimanche
passé : son baptême. Dans ma
lettre précédente je vous ai annoncé que nous nous étions tout à coup décidé de
le faire baptiser et de ne plus attendre notre retour en Europe pour le faire à
la maison. Frank et Go van der Stok faisaient aussi baptiser leur petit garçon,
donc nous l’avons fait ensemble.
Le pasteur
est un homme de notre âge environ, dont la femme est d’origine suisse, elle est
née en Hollande de parents suisses. Elle s’appelait Locher, de Zurich, et a
encore deux frères en Suisse, dont l’un est pasteur à Binningen près de Bâle.
Il nous a rendu visite et nous avons reçu toutes les indications nécessaires.
Les Fraay
ont donc fonctionné comme témoins du baptême. Conradli était habillé tout de
blanc, d’une soie très lourde qu’on emploie ici pour faire des habits d’homme.
D’abord je lui avais fait une jolie petite chemise avec un col entouré de
volants, il devait la porter avec un petit pantalon boutonné à la chemise, mais
quand je la lui ai essayé, j’ai fait les hauts cris, car elle lui allait comme
un col de dentelle à une vache. Non,
vous auriez dû voir cela ! On en a eu le fou rire, Oscar et moi. J’ai donc
vite dû coudre autre chose, et c’est alors que j’ai choisi cette belle étoffe,
lourde et nette d’un beau blanc ivoire, sans une dentelle, sans rien qu’une petite
broche en or avec le nom Baby que j’avais reçue de papa W. Il était joli notre
Conradli, avec sa frimousse intelligente. Il a été baptisé ensemble avec 6
autres enfants, dont il était le plus âgé.
A 9 heures
du matin, les Fraay sont venus nous chercher avec leur auto et nous avons tous
été à la sacristie. Là nous avons retrouvé madame La Bastide qui devait se
charger de Conradli pendant que nous allions prendre part au culte. Le culte
commence ici par un chant liturgique, puis nous avons prié et le pasteur a
annoncé les baptêmes. Nous étions assis tout devant, au pied de la chaire, tous
les parents ensemble et nous avons dû nous lever pour répondre aux questions.
Ensuite sur un signe, les babies ont fait leur entrée et j’ai pris Conradli des
bras de madame La Bastide. D’abord il a regardé un peu drôlement autour de lui
puis il s’est mis à jouer avec la boutonnière de son papa debout à côté de moi,
pendant que le pasteur appelait les enfants un après l’autre pour les baptiser.
Conradli était le 6ème, je me suis avancée avec lui jusqu’à la
droite de l’autel et puis le pasteur l’a béni, mais je ne peux rien vous
raconter de tout cela car j’étais trop émue pour voir grand chose. Conradli
s’est tenu bien tranquille regardant le pasteur avec ses grands yeux noirs
étonnés. Tout est allé trop vite pour qu’il ait le temps de dire quoi que ce
soit, mais aussitôt que je l’ai eu rendu à madame La Bastide, il s’et mis à
parler et à lui raconter ce qui s’était passé. Elle m’a dit après comme il
avait été drôle
Bas de page coupé
…d’un ami
des v.d.Stok, qui nous a introduit dans le Oxford group. J’avais fait faire une
belle tourte toute blanche avec le nom Conrad-Louis en lilas, j’ai donc servi
cela et pour les hommes qui buvaient de la bière il y avait des petites choses
salées. C’était gentil et surtout très heimelig. Les Fraay et La Bastide
faisaient vraiment de leur mieux pour nous remplacer la famille absente.
J’avais invité les Fraay à dîner et nous avons d’abord eu du bouillon froid,
puis des vol au vent, ensuite un gigot de mouton excellent avec du chou fleur,
des petits pois, etc et ensuite un bonne glace de notre frigidaire.
Le soir de
ce beau jour malgré tout, nous avons encore été chez les v.d.Stok pour en jouir
avec eux. Je suis si contente que Conradli soit baptisé maintenant et Oscar
aussi. Ce pauvre diable avait attrapé un rhume le samedi soir avant le baptême
et je l’ai fait transpirer pour que cela passe vite, mais dimanche matin il ne
se sentait pas encore bien, alors je lui ai conseillé de prendre une aspirine,
ce qu’il a fait. Misère, il a commencé à transpirer à l’église, qu’il était
ruisselant, jamais je n’ai vu une chose parelle. Pauvre Boili, je me suis
vraiment fait du souci pour lui et j’avais bien peur qu’il ne puisse pas tenir
jusqu’à la fin.
Aujourd’hui
il est de nouveau enrhumé avec de la fièvre, mais maintenant j’ai fait venir le
docteur qui lui a donné une injection telle qu’il y a une année et qui lui
avait fait tant de bien. Espérons que maintenant ce sera le cas aussi.
Pour le
reste, je n’ai rien de spécial à vous dire. Ici tout va bien, Conradli se porte
bien, moi aussi, j’ai toujours bon appétit et Oscar ne se porte pas mal non
plus, à part ces rhumes, mais qui passeront aussi.
Nous
pensons toujours beaucoup à vous et je prie pour vous aussi, mes bien bien
chers. Je pense aussi à notre Papali. Pendant la cérémonie du baptême j’ai eu
la très forte intuition que papa était présent, j’ai pensé à lui et j’ai
immédiatement eu le sentiment qu’il était là, que je n’avais pas besoin d’avoir
de regrets qu’il nous ait quitté. Cela ma fait beaucoup de bien. Oh, je vous
dis, j’ai vraiment leu de bons moments au baptême de notre Conradli-Louis.
Comment
vont mes frères ? Loulou ? Quand tu auras le temps une fois, tu
m’écriras une petite lettre, hein ?
Je dois
vous quitter en hâte car la lettre doit partir, mais c’est toujours mieux que
rien, n’est-ce pas mes bien chers ?
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