vendredi 15 septembre 2017




Batavia

12 mai 1941
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Je commence cette lettre sous les cris de rage de Conradli. Il est furieux et se débat dans son box en cassant tous ses jouets. Nous avons eu des visites ce matin et je l’ai laissé s’amuser un peu trop, de sorte qu’il n’a pas trouvé le sommeil pendant sa sieste.
Conradli ne m’a pas laissée écrire plus tantôt. Nous avons été prendre notre douche puis je l’ai emmené promener en poussette. Il aime beaucoup cela et cela l’a calmé.
C’est fou ce qu’il aime les enfants et jouer avec eux. Aussi petit qu’il soit il ne veut rien savoir des filles, mais préfère les petits garçons. Celui de ce matin avait trois ans et alors Conradli copie tout ce qu’il fait. Je le retiens autant que je peux et je le laisse rarement longtemps avec d’autres enfants surtout quand ceux-ci sont plus âgés que lui. Je le retiens vraiment tant que je peux, car il est très intelligent et a déjà l’air beaucoup plus âgé que son âge. C’est déjà tellement un petit garçon, plus un baby, ce que je regrette bien.
Le but de cette lettre est vraiment pour vous raconter l’évènement de dimanche passé : son baptême. Dans ma lettre précédente je vous ai annoncé que nous nous étions tout à coup décidé de le faire baptiser et de ne plus attendre notre retour en Europe pour le faire à la maison. Frank et Go van der Stok faisaient aussi baptiser leur petit garçon, donc nous l’avons fait ensemble.
Le pasteur est un homme de notre âge environ, dont la femme est d’origine suisse, elle est née en Hollande de parents suisses. Elle s’appelait Locher, de Zurich, et a encore deux frères en Suisse, dont l’un est pasteur à Binningen près de Bâle. Il nous a rendu visite et nous avons reçu toutes les indications nécessaires.
Les Fraay ont donc fonctionné comme témoins du baptême. Conradli était habillé tout de blanc, d’une soie très lourde qu’on emploie ici pour faire des habits d’homme. D’abord je lui avais fait une jolie petite chemise avec un col entouré de volants, il devait la porter avec un petit pantalon boutonné à la chemise, mais quand je la lui ai essayé, j’ai fait les hauts cris, car elle lui allait comme un col de dentelle à une vache. Non, vous auriez dû voir cela ! On en a eu le fou rire, Oscar et moi. J’ai donc vite dû coudre autre chose, et c’est alors que j’ai choisi cette belle étoffe, lourde et nette d’un beau blanc ivoire, sans une dentelle, sans rien qu’une petite broche en or avec le nom Baby que j’avais reçue de papa W. Il était joli notre Conradli, avec sa frimousse intelligente. Il a été baptisé ensemble avec 6 autres enfants, dont il était le plus âgé.
A 9 heures du matin, les Fraay sont venus nous chercher avec leur auto et nous avons tous été à la sacristie. Là nous avons retrouvé madame La Bastide qui devait se charger de Conradli pendant que nous allions prendre part au culte. Le culte commence ici par un chant liturgique, puis nous avons prié et le pasteur a annoncé les baptêmes. Nous étions assis tout devant, au pied de la chaire, tous les parents ensemble et nous avons dû nous lever pour répondre aux questions. Ensuite sur un signe, les babies ont fait leur entrée et j’ai pris Conradli des bras de madame La Bastide. D’abord il a regardé un peu drôlement autour de lui puis il s’est mis à jouer avec la boutonnière de son papa debout à côté de moi, pendant que le pasteur appelait les enfants un après l’autre pour les baptiser. Conradli était le 6ème, je me suis avancée avec lui jusqu’à la droite de l’autel et puis le pasteur l’a béni, mais je ne peux rien vous raconter de tout cela car j’étais trop émue pour voir grand chose. Conradli s’est tenu bien tranquille regardant le pasteur avec ses grands yeux noirs étonnés. Tout est allé trop vite pour qu’il ait le temps de dire quoi que ce soit, mais aussitôt que je l’ai eu rendu à madame La Bastide, il s’et mis à parler et à lui raconter ce qui s’était passé. Elle m’a dit après comme il avait été drôle
Bas de page coupé
…d’un ami des v.d.Stok, qui nous a introduit dans le Oxford group. J’avais fait faire une belle tourte toute blanche avec le nom Conrad-Louis en lilas, j’ai donc servi cela et pour les hommes qui buvaient de la bière il y avait des petites choses salées. C’était gentil et surtout très heimelig. Les Fraay et La Bastide faisaient vraiment de leur mieux pour nous remplacer la famille absente. J’avais invité les Fraay à dîner et nous avons d’abord eu du bouillon froid, puis des vol au vent, ensuite un gigot de mouton excellent avec du chou fleur, des petits pois, etc et ensuite un bonne glace de notre frigidaire.
Le soir de ce beau jour malgré tout, nous avons encore été chez les v.d.Stok pour en jouir avec eux. Je suis si contente que Conradli soit baptisé maintenant et Oscar aussi. Ce pauvre diable avait attrapé un rhume le samedi soir avant le baptême et je l’ai fait transpirer pour que cela passe vite, mais dimanche matin il ne se sentait pas encore bien, alors je lui ai conseillé de prendre une aspirine, ce qu’il a fait. Misère, il a commencé à transpirer à l’église, qu’il était ruisselant, jamais je n’ai vu une chose parelle. Pauvre Boili, je me suis vraiment fait du souci pour lui et j’avais bien peur qu’il ne puisse pas tenir jusqu’à la fin.
Aujourd’hui il est de nouveau enrhumé avec de la fièvre, mais maintenant j’ai fait venir le docteur qui lui a donné une injection telle qu’il y a une année et qui lui avait fait tant de bien. Espérons que maintenant ce sera le cas aussi.
Pour le reste, je n’ai rien de spécial à vous dire. Ici tout va bien, Conradli se porte bien, moi aussi, j’ai toujours bon appétit et Oscar ne se porte pas mal non plus, à part ces rhumes, mais qui passeront aussi.
Nous pensons toujours beaucoup à vous et je prie pour vous aussi, mes bien bien chers. Je pense aussi à notre Papali. Pendant la cérémonie du baptême j’ai eu la très forte intuition que papa était présent, j’ai pensé à lui et j’ai immédiatement eu le sentiment qu’il était là, que je n’avais pas besoin d’avoir de regrets qu’il nous ait quitté. Cela ma fait beaucoup de bien. Oh, je vous dis, j’ai vraiment leu de bons moments au baptême de notre Conradli-Louis.
Comment vont mes frères ? Loulou ? Quand tu auras le temps une fois, tu m’écriras une petite lettre, hein ?
Je dois vous quitter en hâte car la lettre doit partir, mais c’est toujours mieux que rien, n’est-ce pas mes bien chers ?



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