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Kediri
8 janvier 1939
Depuis ta 196, Mamms, et la lettre pour la fête
de Boili, plus une lettre de Charlot, je n’ai plus rien entendu de vous.
Qu’est-ce qu’il y a ? Pas de maladie, pourtant ? J’ai un peu peur que
ces grands froids vous aient nui, à l’un ou à l’autre et je m’en fais un peu.
Je pense et j’espère que les garçons ont pu en profiter, sûrement le lac était
gelé alors vive le plaisir, mais Padre et Mamms ? Est-ce que vous avez pu
assez chauffer au moins ? Je me demande un tas de choses ainsi, si le
chauffage a bien marché, et surtout si Padre n’a pas pris froid en allant le
faire marcher, etc.
Et ces
fêtes, est-ce que vous les avez bien passées ? je l’espère de tout mon
cœur. Je vous ai déjà raconté notre Noël à nous, quant à Nouvel An, il a été complètement raté.
Je vous
avais écrit que j’irais à Soerabaya. J’y ai été en effet, j’ai même eu le
courage d’aller au dentiste. A part le plombage d’une de mes grandes dents de
devant, il me faut faire faire une couronne à une molaire ! J’y
retournerai en février pour cela. A S’baya, j’ai donc rencontré Boili le soir,
nous avons été au cinéma, puis aller souper ensemble avec Sayers. Le lendemain,
les hommes repartaient et ne revenaient plus à Soerabaya, comme nous l’avions
prévu. On ne peut pas toujours faire comme on veut, alors moi je suis retournée
à la maison un jour plus tôt.
J’ai bien
réussi pour mon tissu de chaises, tout à fait ce que je désirais, un tissu
presque blanc, à l’envers marron que je vais employer pour la bordure. Nous
aurons ainsi un salon très clair et comme ces chaises et le couch seront bien neutres,
toutes nos jolies choses, bibelots etc en ressortiront d’autant mieux.
Enfin, je
suis revenue le 29 décembre de S’baya, très fatiguée, me sentant lourde dans
les pieds. J’ai été me coucher très tôt et le lendemain matin, j’avais mes maux
par tous le corps, les maux bien connus de dans le temps. Qu’est-ce que je
voulais faire d’autre que de rester au lit, bien chaud. Il a été bon ton
Bettjäckli, ce que j’en suis contente ! Je me suis remise à la bouillie de
riz cuite à la vapeur, mais ce n’était pas gai, malade toute seule ici à
l’hôtel. Heureusement que vers le soir Boili est revenu, et moi cela commençait
aussi de nouveau à mieux aller. Le 31, 1er, 2 et 3 je suis restée à
la maison. Boili m’a tenu compagnie car il était très fatigué. Ainsi j’étais
même contente que nous ne puissions pas aller chez tante Engel, car à
Sylvestre, nous étions au lit à 8 heures du soir. A minuit nous avons été
réveillés par la sirène de la Mexolie (il n’y a pas de cloches ici !) nous
nous sommes embrassés et souhaité la bonne année, nous avons pensé à chacun de
vous, vous souhaitant aussi tout le bonheur possible, puis nous nous sommes
rendormis. Le jour de Nouvel An,
nous l’avons passé tranquillement à la maison, en pyjamas, à jouer aux cartes,
à lire etc. Depuis deux jours j’ai recommencé à manger de tout et je me porte
de nouveau bien. Je pense que cela a été une nouvelle attaque de mon foie, en
tous cas je n’ai pas pris de remèdes pour mes rhumatismes comme je le faisais
dans le temps en de pareilles occasions, et il me semble que cela a passé plus
vite cette fois-ci. J’ai écrit à mon docteur à Bandoeng pour lui demander si
j’avais bien agi ; j’attends encore la réponse. Sitôt qu’elle a su que
j’étais malade, tante Engel est venue et m’a gâtée avec des fleurs etc. C’est
une bonne âme, ils ont tant regretté de ne pas nous avoir, vu que la Mies (fille Engelhart) était chez vous. Mes chers, je vous demande mille
excuses que cet emplâtre soit venu
vous gâter ces jours de fêtes. J’espère tout de même que ce n’aura pas été trop
terrible. Tu me raconteras cela, pas ?
Nous avons
reçu un chien, le frère de notre
Alert, il était à Batavia, avant, chez des gens qui ont été congédiés et
maintenant ils retournent en Hollande. Il est plus joli que notre Alert, mais
moins vif, mais je crois qu’il sera un bon chien quand même, en tout cas, il
m’aime déjà bien. La première fois que je suis allée promener avec lui il a eu
rogne avec un gros chien loup, et comme je le tenais à la chaîne, il n’a pas pu
se défendre comme il faut, et il s’est fait mordre au dessus de l’œil. Il a eu
une plaie terrible, nous avons eu bien peur pour son œil et je l’ai soigné
presque jour et nuit, ensemble avec Boili. Maintenant c’est en train de guérir,
heureusement.
Boili fait
partie du Rotary maintenant, il
prend la place de Sayers, ici c’est tous les mercredis soirs qu’ils ont leur
souper. Je suis contente que Boili y soit. Cela va nous amener du monde et des
visites, mais tant pis, un peu plus ou un peu moins, je vois qu’ici aussi
j’aurai de nouveau la maison pleine de gens.
Et
maintenant un chapitre Sayers. C’est des sales gens. Premièrement :
ils ne nous diraient jamais que nous pouvons employer l’auto si nous voulons
aller quelque part et eux, quand ils doivent s’éloigner de 100 m de leur
maison, ils montent dedans. Deuxièmement : il est d’usage ici qu’on envoie
quelque chose à boire aux hommes à
la fabrique vers 10 heures, le matin. Je le faisais aussi à Keboemen et
Tjilatjap, un peu d’eau ou de sirop dans un thermos pour que cela reste bien
froid. Aussi longtemps qu’Engelenberg était à l’hôtel, j’ai aussi toujours
donné un verre pour lui. Eh bien, ici, Oscar est assis vis à vis de Sayers au
même bureau. Tous les matins Sayers reçoit son verre de sirop sans jamais offrir une goutte à Buby.
Pourtant, cette vache de femme, elle pourrait se penser qu’étant à l’hôtel, ce
n’est pas si facile d’envoyer quelque chose à Buby, je n’ai pas toujours un
djongos à ma disposition, et pour elle cela irait en même temps, et un verre de
sirop cela ne coûte pas beaucoup pourtant. Ici aux Indes, c’est la toute première règle d’hospitalité, toujours
offrir à boire. Ha, mais attends Bibi, je vais aussi les traiter à cette sauce
quand j’en aurai l’occasion. Comme cela je pourrais encore vous en raconter
beaucoup, et Boili fait aussi ses expériences au bureau, Sayers voulait que
Boili prenne la direction de la fabrique déjà à Nouvel An, mais Boili a vu
qu’il avait encore un tas d’affaires pas liquidées, alors il a refusé, demandant
que tout soit bien en ordre avant qu’il en prenne la responsabilité. Puisque
ces gens ne nous accordent rien, on serait bien bête de leur rendre un service.
Il en est de même pour moi, j’aimerais mieux me couper la main que d’aller lui
aider à emballer, et pourtant elle en aurait besoin, mais neinei, ds Näggeli
isch dört düre fertig geputzt (non non,
la Nägeli n’est pas tombée sur la tête).
Merci
mille fois pour le beau calendrier, pour le corsettli (gaine) de chez Bouldoires (grand magasin de Bienne, maintenant
disparu). Il n’est pas mal, et assez solide, mais j’aime mieux la coupe des
autres. Mais maintenant tu n’as plus besoin de t’en faire, je suis si près de S’baya
qu’il me sera toujours facile de les acheter.
La petite
chemise que tu m’avais aussi envoyée n’est pas mal, mais je préfère tout de
même celles dont je t’ai envoyé un modèle, elles sont un peu plus chic, moins
sobres ! Tu m’en avais envoyé deux roses, une fois, celles-là je les aime
assez bien. Mais pour le moment j’en ai encore assez, donc ne fais pas de
dépenses pour moi, à moins que tu aies de bonnes occasions, mais alors
seulement dans les genres que j’aime. Il ne faut plus en acheter d’autres, et
surtout pas penser que ce qui ne se porte plus à Bienne, va encore bien pour
ici. Maintenant que nous sommes si près de S’baya, nous sommes aussi plus près
de la mode en Europe, gäll ? (n’est-ce
pas) ?
Ce matin,
j’étais fâchée sur Boili parce qu’il ne voulait pas venir promener, alors comme
un Chinois passait, je l’ai appelé
et il m’a fait voir ce qu’il vendait. J’ai commencé
à marchander sur un beau vase blanc, tout ajouré, comme de la dentelle de
porcelaine. Je lui ai offert le tiers de son prix, pensant que jamais il ne me
le donnerait, mais à la fin il me l’a quand même donné pour Fl. 3.50. C’était vraiment pas cher, et je vais en faire
une très belle lampe. Boili a ri, une promenade lui aurait coûté moins cher,
mais il préfère tout de même ce beau vase, et la promenade je l’ai eue ce soir
avant de souper, ainsi tout est pour le mieux.
9.1.39 Je viens de recevoir un avis d’envoi recommandé,
j’irai vite à la poste après déjeuner je me demande ce que tu m’as de nouveau
envoyé, Mamms de mon cœur. Est-ce que tu as reçu ce bol en laque japonaise avec l’assiette, la cuillère et la
fourchette ? C’est pour la salade. Tu sais que tu peux laver ces laques
japonaises à l’eau de savon.
Mes chers,
je n’ai plus rien de neuf à vous raconter et je continuerai ce soir si j’ai le
temps.
9.1.39 Voilà, je continue. Je suis presque au bout de
ma provision de papier avion prise avec moi pour ici à l’hôtel, et comme je
n’ai plus beaucoup à raconter pour cette fois, je continue ici. J’ai été
retirer le petit paquet de la poste, ce sont encore des bas. Merci. Je ne sais pas encore ce que j’en ferai, on
verra. A propos, est-ce que vous avez une
nouvelle fille au bureau ? Elle écrit toujours Waldringh (Woldringh), et cela me donne des
difficultés à la poste.
C’est une
journée de laquelle je me félicite aujourd’hui, car je viens d’arriver à Fl. 1500.- dans mes économies sur le carnet de poste. C’est une institution d’Etat,
on ne reçoit que très peu de %, mais c’est sûr comme tout, et puis, personne
que moi ne peut y mettre le nez. En mettant les sous à la Mexolie, je recevrais
plus d’intérêts, mais alors tout le monde saurait comment et combien je peux
économiser par mois, et cela n’est pas nécessaire, hein, tu me donnes
raison ? J’en suis bien fière, car au moins maintenant on n’est plus tout
à fait sans le sou et cela donne une certaine sûreté.
Hé, voilà
le Boili qui rentre, ils ont fait une petite tournée ce matin, et demain ils
repartent pour la grande de 4 jours, pendant laquelle ils font minimum 1000 km.
Pouvez-vous comprendre que les hommes rentrent harassés de fatigue ? Et tout cela par une chaleur terrible
dont vous n’avez aucune idée, car la plupart des routes sont au grand soleil.
Cela Oscar le fera 2-3 fois par mois, et puis il y aura encore les petites
tournées de 100 à 200 km qui ne prennent qu’un jour, mais qui sont fatigantes
aussi. Les distances sont énormes ici, et je crois que la Suisse nous paraîtra
ridiculement petite les premiers temps. Quand cela sera-ce ? Bon sang, ne vous en réjouissez pas
encore car ce ne sera sûrement plus pour cette année. Est-ce que ce sera en
40 ? Das wissen die Götter ! (seuls
les dieux le savent). Il s’agit d’abord de travailler ici, surtout
maintenant, c’est le moment, c’est l’instant. C’est la lutte à haute tension
entre Sayers et Boili, qui montera l’échelle le premier ? Les Sayers sont
ici depuis 10 ans déjà, et nous seulement depuis 5, alors de notre côté, il
faut y en mettre. D’un autre côté nous ne pouvons pas nous plaindre, nous avons
bien avancé en ces 5 ans. En ce moment, nous avons la même paye, ou même plus
que Mr. Engelhart qui est tellement plus âgé. Il me semble des fois même qu’il
est un peu jaloux de nous, pas méchamment, mais quand même un peu. Ils nous
aiment beaucoup et ils feront toujours tout ce qu’ils pourront pour nous mais
tout de même j’ai pris la résolution de ne pas toujours tout montrer ce que
j’achète. Oui, ta girl te ressemble et n’est pas la plus bête !
Mon Bärndütsch Buech (livre en dialecte bernois), je l’ai fini depuis longtemps et dans
quelques temps je vais le relire, car il était trop beau.
Que les
garçons me disent s’ils lisent facilement
l’anglais ? Nous venons de lire trois livres, Boili et moi, et ils
sont si intéressants que j’aimerais bien que les garçons les lisent, seulement
c’est en anglais. Réponds moi à cette question, n’oublie pas.
Comment va
le bras et la main de Nöggi ? J’espère qu’il sera bientôt tout à fait
remis et qu’il pourra bientôt goûter le
plaisir d’écrire à sa sœur ?!!!
Ha, mes
chers, je me réjouis tant d’avoir de vos nouvelles, ne m’oubliez pas,
hein ?
A propos,
je ne puis pas encore trouver la soie que je voudrais pour ces chemises
d’homme, donc n’y compte pas encore.
Je profite
encore de vous écrire un peu souvent pendant que je suis ici à l’hôtel à ne rien
f…tre, après quand je serai occupée à installer ma maison, adieu les lettres
pour quelque temps.
Et
maintenant, mes chers, je suis au bout de mon latin pour cette fois.
Toujours
bien votre Ge…, b….si, Sch….li,
etc
Oscar
repart au bureau et prend la lettre avec, ainsi elle partira ce soir pour
l’avion de demain.
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