Batavia
18 décembre 1936
Voici une
fois de plus une lettre pour Noël.
Encore deux et puis… gare la joie ! Mes chers, chers tous, qui serez
réunis sous l’arbre à penser aux absents et aux disparus, je vous souhaite un
Noël tranquille et heureux. Vous savez bien que je serai avec vous en pensées
tout comme vous le serez avec nous ici, et nous ne nous sentirons pas seuls, ni
les uns ni les autres.
Oh, mes
chers, comme vous m’avez gâtée par tante Engel ! Je ne sais pas comment
vous remercier, vous auriez dû me voir prendre possession un à un de tous ces
beaux cadeaux de la maison J’en ai le cœur plein de mercis et une immense envie
de vous embrasser. Malheureusement je n’ai pas beaucoup de temps pour vous
écrire, ayant dû, à la dernière minute, pondre une lettre aux Dunlop, vu que
Buby n’a pas le temps. Alors voici en résumé tous les happenings depuis la
semaine passée.
Jeudi soir
donc Oscar rentre en me disant que nous étions invités à ce souper chez les Jöbsis. Nous avons trouvé cela un
peu impoli d’être ainsi invité à la dernière minute, et comme les invitations
avaient été faite par un comité de fête pour l’occasion, nous pensions qu’il y
avait de la mauvaise volonté là-dedans, et étions presque décidés à ne pas y
aller. Nous avons vite été en ville pour commander un merveilleux arrangement
d’orchidées pour les Jöbsis et ensuite nous avons été chez les Bigot pour
tâcher de tâter le terrain un peu. Bigot a tout de suite senti où nous voulions
en venir et s’est mis à parler de cette fête. Lui-même n’irait pas parce qu’il
venait de perdre sa mère, mais il nous a fortement conseillé d’y aller coûte
que coûte, disant que Mr. Jöbsis même avait demandé de nous inviter, malgré que nous ne fassions pas partie directement du
personnel de la Banque. Bigot a dit
que c’était important pour Buby de se faire connaître, et d’avoir des relations
avec tout ce monde etc. Il nous a donné force bons conseils, vraiment, comme
s’il parlait à son propre fils, ensuite un mot donnant l’autre il nous a encore
un peu tracé notre ligne de conduite à suivre etc. Enfin, nous sommes rentrés
heureux et la conscience à l’aise. Voilà que pendant la nuit j’attrape de la fièvre et mal par tout le corps,
suite d’un coup de froid. J’avais 38.0 et un beau trac de ne pas pouvoir
accompagner Oscar. J’ai téléphoné au docteur, qui m’a ordonné des aspirines, et
un sirop de Cola qui me ravigoterait
un peu pour la soirée. Je devais encore aller au dentiste le matin, et en
rentrant je me suis mise au lit, au chaud. Les douleurs passaient mais la
température restait. Enfin, j’ai quand même fait préparer ma robe, d’abord je
voulais mettre l’organdi mais je me suis décidée pour la robe de noce parce que
je pouvais mieux m’habiller dessous. Enfin, le soir encore faible sur jambe et
avec les fameux 38.0 je me suis rendue chez les Jöbsis, me demandant si je
pouvais y tenir. Mais voilà, vous ne connaissez pas votre Ge… ! Nom d’une
pipe, je n’étais pas là 5 minutes que mon mal de tête avait passé et je crois
bien ma fièvre aussi après le premier verre de vin. Enfin tout a bien été et M. Jöbsis a été plus qu’aimable avec moi, et
Buby aussi. Les autres invités voyant cela en ont fait autant et nous avons
passé une soirée plus qu’agréable. D’abord en arrivant il fallait déchiffrer
tous les puzzles que les invités étaient tenus d’arborer. Il a aussi fallu que
Buby dessine vite quelque chose ayant rapport à la Banque, un fait, une
situation ou n’importe quoi. On recevait des cartes sur lesquelles il fallait
écrire les résultats devinés et celui qui aurait le plus de voix recevrait un
prix. Moi je ne représentais rien, vu qu’on avait pas eu le temps de faire quoi
que ce soit. Une fois qu’on avait tout deviné on a fait une polonaise devant
les Jöbsis pour leur laisser admirer encore une fois, puis on s’est rendu au
bar pour les cocktails. Ensuite le dîner fut servi. Pendant tout ce temps qu’on
buvait des cocktails (moi pas) on faisait la conversation !!! J’en ai
profité pour parler à toutes ces femmes qui vraiment cette fois ont été plus
malléables et moins réservées. A plusieurs reprises Mr. Jöbsis est venu
s’asseoir à côté de moi me demandant comment je me plaisais à cette party et si
je m’amusais. Madame aussi est venue s’asseoir vers moi. Le dîner était très
bien aussi et ensuite nous avons encore un peu dansé et la Ge… n’a plus senti ses
jambes molles !!! J’en étais bien contente car il a été très utile que
nous y soyons à cette soirée. Nous sommes maintenant introduits d’une bonne
manière dans le cercle de la Banque et cela ne peut que faire du bien.
train de l'époque, Indonésie |
Le
lendemain samedi soir à 6 heures nous étions dans le train pour Keboemen. Nous voulions d’abord aller troisième parce que le voyage est si
cher, mais une fois dans le wagon je n’y tenais pas, ayant un chinois juste
au-dessus de moi couché dans une sorte de hamac, les couchettes de troisième
classe se trouvent au-dessus des bancs. Nous avons déménagé en seconde et à Keboemen Tante Engel nous attendait. Nous
avons eu de part et d’autre beaucoup de plaisir à nous revoir. Les journées
s’écoulaient tranquilles et douces dans le beau jardin, dans la maison
etc. Le soir même tante Engel m’a
conduite dans notre chambre où touts vos cadeaux étaient étalés sur une table
comme à Noël chez nous. J’ai vraiment eu
mon Noël chez eux. Nous étions tous là autour et ils riaient à tous mes
cris de joie après chaque chose que je découvrais. Merci mille fois pour le chnöpflisieb et cette râpe, ensuite
pour le cosy et les beaux petits pantalons, pour les perles où tu as ajouté la
tienne, tu me gâtes toujours. Ensuite la belle robe bleue qui me va à ravir,
j’en suis si contente, seulement je ne sais pas bien s’il faut remercier toi ou la Bänggou, tante E. m’ayant
raconté qu’elle était d’abord destinée à une de mes tantes qui ne trouvait pas
la couleur favorable. Enfin, à qui de droit, merci de tout cœur, mille et mille
fois. J’ai aussi eu du plaisir aux petits napperons de Flock. Et finalement
j’ai eu un plaisir fou à mes montres et mon petit réveil. Je n’y comptais pas
du tout vu que vous m’aviez écrit qu’ils n’arrivaient pas à être prêt avant le
départ des Engel. Last but not least, les pives, mes belles pives du Chalet m’ont bien fait pisser de l’œil. Merci,
merci, j’en ai un tel plaisir, je vais les décorer pour Noël, elles seront
notre seule décoration de Noël, nous n’aurons pas d’arbre. Les petits numéros
me sont aussi bien parvenus, Mamms, et j’aurais certainement l’occasion de m’en
servir. Ma petite montre ronde 6 ¾ ” ne marche pas du tout, et celle que
tante E. a acheté chez toi non plus. C’est bien embêtant, elle n’en était pas
contente. Le film, je l’ai fait tourner trois fois, vous êtes bien tous, mais
c’est dommage que ce soit les Tiptop qui prennent le plus de place. Tu
comprends je les aime bien aussi tes petits amis mais en une occasion pareille j‘aurais
préféré voir des autres binettes !!! Charlot aussi en s’amusant avec eux
se baisse toujours de sorte que je ne vois pas sa figure. Les E. m’ont donné le
film et je peux le faire tourner pour 15 cents par fois, ici au magasin Kodak.
Je vais tâcher de leur demander le bout où nous sommes Oscar et moi et je vous
l’enverrai, vous pourrez certainement en faire de même à Bienne dans le magasin
qui a la représentation Kodak. C’est mon Macaroni qui est superbe sur son film,
alors là je me suis rincé l’œil et je t’assure que je n’ai rien à redire à ton
Hooverage ! Mina aussi est très bien… de dos seulement. Enfin, le tout est
une vraie scène de famille comme je les connais et j’en ai eu un plaisir énorme
avec pissement d’œil minime !
Pour la
fête à Buby tante E. a fait un bon petit dîner, et une tourte. Je n’avais rien
dit avant le matin même et c’est touchant comme elle a vite tout arrangé. Nous
y sommes restés trois jours. C’était comme si j’étais à la maison et eux aussi
m’ont dit que j’étais comme leur seconde fille et que je pourrais toujours et
toujours venir chez eux.
Le
mercredi nous avons été à Keboemen chez Wies parce que les E. devaient aller à
une réception. Là chez Wies il a
fait beau aussi. Ma maison est bien entretenue. Les Visser avaient justement
choisi ce jour pour aller à Batavia. Il paraît qu’elle attend de nouveau un
bébé de sorte qu’ils ne peuvent pas aller en congé d’Europe ce printemps, ce
qui change bien les choses. Je ne suis pas allée rendre visite aux Röhwer, cela
a dû bien les embêter, mais voilà la Näggeli s’en fout. Ils vivent comme chiens
et chat avec Does et je vous garantis que ce n’est pas Does qui tire le plus
court. Ah, elle a trouvé son maître la Rickshaw.
Le buste que tante E. m’a rapporté est
exactement celui que je voulais commander à Paris et qui me serait revenu à Fl.
50.-. Maintenant je n’ai eu à payer que Fl. 10.- . J’ai immédiatement formé
celui à tante E. On a bien ri, à la fin quand elle était carapacée et qu’elle
ne pouvait plus bouger je dansais autour d’elle et je la taquinais. Le système
est très simple et pratique, j’en suis enchantée et je me réjouis de pouvoir
couper mon premier modèle !!! Cette année je n’y arriverai plus vu que
j’ai encore tant à écrire pour Nouvel-An.
Buby a bien
reçu ta chemise polo, et elle a dû être emballée pour aller à Keboemen sans que
j’aie eu le temps de la laver ou quoi que ce soit. Il voulait immédiatement la
mettre. Il a aussi reçu tes timbres avec grand plaisir, mais c’est moi qui
n’étais pas contente, vu que je m’attendais à une lettre ! Vous le gâtez
beaucoup trop ce garçon, il n’en vaut pas la peine, croyez-moi !!!
J’ai aussi
reçu les petites chemises pour Frankje Elout, et hier matin, tout de suite après
mon arrivée de Keboemen, je les ai apportées à Annie qui en a eu un plaisir
fou. Frankje devait être opéré dans la gorge dans le courant de l’après-midi et
Annie était très malheureuse, alors ces petites chemise pour son enfant lui ont
fait doublement plaisir. Elle te remercie beaucoup, elle a vraiment été
touchée, que tu lui en fasses cadeau. Tu me diras ce qu’elles coûtent.
Es E. j’ai
reçu un beau bracelet avec une turquoise et Oscar une boîte à cigarettes en
ébène. Tante E. m’a bien dit qu’elle ne pouvait pas bien te parler et qu’elle
n’avait pas tout pu dire comme elle aurait voulu parce qu’elle devait le faire
en allemand. Elle n’a aucune facilité pour les langues, la pauvre. Elle a
regretté, mais voilà, il n’y avait rien à faire.
Je suis
bien contente de ma visite là. Cela nous a coûté très cher le voyage, mais zut,
c’était notre cadeau de Noël et je ne m’en repens pas.
Les Bigot
vont donc nous quitter le jour de Noël. Nous les regretterons beaucoup, car ils
ont été de vrais amis pour nous. Enfin, espérons pour leur retour.
Je crois
que je ne vous ai pas encore raconté que j’ai eu de sales histoires avec une de
mes dents de devant. Elle a été gâtée sans que je m’en aperçoive et quand j’étais
chez le dentiste il l’a plombée avec
de l’émail. Voilà qu’un beau jour ce plomb tombe et pour le remplacer il a dû
me tuer le nerf. Comme je voulais être prête pour aller à Keboemen, il a dû
faire vite, et m’a sorti le nerf avant qu’il soit bien mort. Cela m’a fait un
mal de chien de sorte que je me suis évanouie chez lui. Bäh, cela me dégoûtait.
Il m’a vite mis de l’eau de Cologne sous le nez et c’est mieux allé. Maintenant
je n’ose pas y penser sans quoi je
deviens « schlächt »(mal) comme
dit Nöggu. C’est naturellement ce régime qui m’a un peu affaiblie, ma pression
du sang est de nouveau très basse, de sorte que je reprends du Optonikum. Sans
cela je me porte bien, il faut toujours faire attention à ce que je mange, si
je suis imprudente, j’ai immédiatement mal au ventre de nouveau.
Je cuis
maintenant moi-même et j’en suis bien contente. C’est quand même meilleur que
le manger de l’hôtel.
Je viens
de faire un tour en ville, ayant quelques commissions pour Annie Elout. C’est
si beau en ville. Tous les magasins sont bien décorés et les belles choses
qu’on peut acheter ! Comme en
Europe c’est vraiment merveilleux et un plaisir pour les yeux. Cela m’a
vraiment donné de l’ ambiance de Noël, bien qu’il fasse chaud comme dans un
four ce soir. C’est pourtant autre chose que d’être à Keboemen, ici au moins on
voit quelque chose. Demain c’est ta fête Mamms, Buby a déjà dit qu’on allait
fêter. Je pense que nous rions au cinéma le soir, mais d’abord il faut que Buby
vienne lädele (lèche-vitrine) avec
moi et jouir de toutes ces belles choses.
Charlot,
merci pour ta lettre à Buby, il en a eu beaucoup de plaisir et surtout ton idée
de l’abonner à ce magazine lui a fait grand plaisir. Mais mon vieux, est-ce que
tu ne te suces pas trop le sang pour cela ? Je vous ai fait envoyer un
livre pour les deux. C’est un livre excessivement intéressant sur la Chine sous
forme de roman vécu. Les jeunes gens là éprouvent des difficultés analogues aux
nôtres, c’est la raison pour laquelle je vous l’envoie. Mes chers vieux
frangins, je vais vous écrire sitôt que j’aurai fini de pondre toutes ces
lettres de nouvel an officielles, c’est une barbe !!!
J’ai
encore reçu un avis de paquet recommandé que j’irai retirer demain matin, Merci
d’avance.
Et
maintenant, mes bien chers tous, c’est un Joyeux Noël et une bonne et heureuse
Nouvelle Année ! Bonne santé à chacun, un cœur content du travail et de la
prospérité. Pour les Garçons : un puissant Avanti ! Travaillez dur,
mes vieux, mais avec intelligence et décision. Mes chers, c’est bien à chacun
que je voudrais souhaiter tant de bonnes choses, mais ne pouvant le faire
séparément, je ne vous écris que ces mots……….
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